" Parlemu corsu e d'altri
associazioni
folklorichi, contu mi ne sò resu ?
u corsu l'approdanu in canzoni
ma ci si discorri sempre in francesu "
Simonu d'Aullè A mio
discursata ùn sfughje a stu peccatu...
La question de la langue et de l'identité est ainsi posée avec humour.
Rappelons l'actuel contexte du débat institutionnel. A mon sens, il ne saurait y avoir de
développement économique sans une identité assurée d'elle-même et des langues qui la
fondent.
I- D'une identité stable aux " troubles " de l'identité :
Les " observateurs " qui ont
défilé en Corse, au cours des siècles, ont brossé le portrait aux divers et, parfois,
contradictoires attributs, du Corse " barbare ", " valeureux ", "
héroïque ", " hospitalier ", " homme d'honneur ", " bandit
"... Les Corses se sont souvent conformés à l'image, aux images que l'on donnait
d'eux.
Toutefois, la question de fond : " qui
suis-je " ? ne reste-t-elle pas encore entière ? Sachons aussi garder à la Corse et
aux Corses ce mystère dont parlait Malraux à propos de De Gaulle : " de Gaulle a sa
Corse, c'est-à-dire son mystère ". Sans mystère, pas de poésie, pas de personne
singulière.
Nous ferons un sort particulier au discours
du Président Mitterrand prononcé, à Ajaccio, le 13 juin 1983. " La Corse doit
être elle-même... " " et comment peut-on être soi-même ? C'est ce qu'on
appelle la culture qui répond d'abord à la question posée. Et la culture corse trouve
sa première expression dans la langue... " Le Président de la République ajoutait
qu'il avait incité le gouvernement à " développer les formes d'enseignement
adaptées qui permettront de faire que la Corse soit dotée de sa propre histoire, donc de
son propre langage, qui affirme son identité par ce moyen, tandis que la formation des
formateurs devra être assurée un peu partout dans l'île pour que se perpétue cette
forme de langage très originale en même temps que très traditionnelle ".
Allons plus avant dans la question de l'identité. " Les référents identitaires
" classiques (géographie, milieu de vie, mythes, Histoire, mentalité, comportement,
culture...) donnent aux Corses une " identité forte " soulignée à l'envi par
ceux qui font notre éloge ou même par ceux qui nous dénigrent.
Peut-on cerner ce noyau identitaire d'un
individu ou d'une communauté, ce noyau qui donne sa cohésion au moi ou au groupe, qui
permet de gérer " en cohérence " même les contradictions, d'échapper à
l'éclatement, à la confusion ?
Ce noyau identitaire n'est-il pas "
l'âme " même de la formation du système cognitif ? Et n'est-il pas précisément
le langage ? C'est par la langue intimement liée à la pensée que l'institution et le
groupe appréhendent le monde.
L'identification à soi se fait à partir de
modèles (mythes, Histoire, Education). L'identité se façonne en fonction d' "
identités prescrites " qu'on les accepte ou même qu'on les refuse.
Selon Alexandre Mucchielli, philosophe
originaire de Ghisoni, le moi intériorise l'ensemble des rôles et modèles proposés,
imposés par les parents et la société. Le je traduit en action, de façon spontanée et
créative, ces propositions rassemblées, transformées et parfois contradictoires. Le soi
se façonne dans l'interaction sociale.
Cette identité repose sur :
- un sentiment de continuité temporelle (en
Corse, peut-être, un " continum " circulaire "..) à travers toutes les
vicissitudes et ruptures de l'histoire d'une communauté et d'un individu. Pour être
vivante, cette identité doit être en mouvement (même si ce mouvement est "
circulaire "...).
- un sentiment de différence et d'appartenance. Les identités nationales trouvent leur
fondement dans un ensemble de représentations collectives qu'elles se donnent
d'elles-mêmes dans les miroirs de leur Histoire officielle.
- Un sentiment de valeur et de confiance, fondateur d'une " sécurité ontologique
", celle de l'être (esse).
L'identité n'est pas à l'identique, mais le
singulier est la marque la plus distinctive de son vrai profil. Préférons à l'individu
et à son identité " extérieure ", l'intériorité de la personne.
" Persona " en latin signifie
" masque ", " rôle ", donc " l'identité jouée ", "
l'identité de façade ", de " théâtralité ", celle de " l'être
sous le regard ". Comme disait Sartre : " je suis ce que je ne suis pas et je ne
suis pas ce que je suis ".
Les nouvelles et le théâtre pirandelliens
nous présentent ces masques du labyrinthe sicilien qui n'est pas sans ressembler au
nôtre. En revanche, la personne au sens spirituel, c'est l'être même dans sa
singularité. La personne est assurée de son être. Mais cet être singulier n'est pas en
état d'apesanteur. Il n'existe ainsi, même s'il prend distance, que par une identité
communautaire. En chacun il y a un être collectif et un être privé.
" Le mal-être "
Le " mal-être ", qui conduit aux
troubles de l'identité, est lié aussi aux difficultés du " vivre ensemble "
quand une communauté se cherche et s'identifie mal à elle-même. D'où l'angoisse et
souvent ces réactions de défense et d'agressivité.
Une des causes essentielles de notre "
mal vivre " : comment accorder " le village symbolique ", celui de nos
morts (mais qui devient aussi, hélas, symbolique au sens où vidé des vivants, il n'est
plus peuplé que d'ombres) et " le village planétaire virtuel " d'aujourd'hui ?
Cette perturbation de la sécurité
ontologique s'explique, bien sûr, par un sentiment d'incomplétude et également de
culpabilité linguistique.
II- Le problème de la diglossie dans
l'équilibre de la personne et de la communauté.
La langue est la matrice de l'identité d'une
communauté. Pour l'Etat-nation France, elle est fondatrice de l'identité nationale à
telle enseigne qu'un bilingue dans l'inconscient français d'une République, une et
indivisible, est un " traître en puissance ".
Dans le cercle de flammes où sont ceux qui
ont péché contre nature (sodomites et " violenti " contre nature), Dante place
son maître vénéré Brunetto Latino ; or, notoirement celui-ci n'était pas homosexuel.
Mais son péché n'était-il pas de ne pas avoir écrit son uvre majeure le Trésor
dans sa langue maternelle, ce " vulgaire " toscan promu par Dante face au latin
? La langue " fille de Dieu " est sacrée. La trahir c'est pécher contre la
nature et l'esprit.
Pour d'autres, la langue ne revêt pas ce
caractère sacré. Le principe de la nation pour être spirituel, n'est pas
nécessairement lié à une langue. Ainsi pour Fustel de Coulanges
(L'Alsace-Lorraine.1870) : " L'Alsace-Lorraine parle allemand, mais elle est
française, parce qu'elle veut être française ". Déjà Renan proclamait : "
la langue invite à se réunir, elle n'y force pas " ou encore : " l'homme
n'appartient ni à sa langue, ni à sa race, il n'appartient qu'à lui-même, car c'est un
être libre... ". B. Poignant, qui cite Renan, est sur la même ligne : " on
peut être breton sans parler le breton. On peut être corse sans parler le corse "
(Cf. Langues de France, osez l'Europe !).
Il faut d'abord se poser la question : le
corse est-il une langue ?
Don Petru de Mari, en 1922, répondait aux
objections de ceux qui lui déniaient ce statut.
- " U corsu ? ùn hè lingua perchè di
pocu ch'ellu si scrive "
- " I nostri antichi scrivianu, hè vera, in lingua italiana, i so cuntratti, i so
discorsi e so difese è i so disinganni. Ma quandu elli murianu, un era in crusca chè e
moglie e surelle si lamintavanu sopra e so tole. Se stride salvatiche ma sublime abbastanu
per illusrà una lingua ".
Depuis le corse s'écrit.
- " U corsu ùn hè lingua perchè ùn
pussede grammatica ne dizziunariu"
D.P. de Mari répondait : " u dizzunariu
c'hè : U FALCUCCI ".
Depuis on ne les compte plus jusqu'à celui
de Marchetti dont la publication est imminente. Le corse est fixé. Il a un statut de
langue normalisée de façon intelligente.
- " U corsu ùn hè lingua perchè un
sà trattà che di cose leggere ".
D.P. de Mari faisant allusion à Santu
Casanova, affirmait que l'on pouvait conceptualiser en langue corse (che si pudia riflette
in corsu).
Le CAPES de corse a prouvé la capacité des
candidats à la conceptualisation et à l'expression pertinente en corse.
Non sans humour, DP de Mari, renversait les
rôles pour dire que le " dialecte " (une langue n'est-elle pas, en fait, un
dialecte qui a réussi politiquement ?) est une question de point de vue :
" Ghjorni scorsi un paisanu d'a Castagniccia racuntava una disputa ch'ellu avia avutu
c'un pinzutu maritatu ind'u so paese : ( Fortuna, ci dicia , ch'ùn aghjiu capitu tuttu
( E perchè ùn avete capitu ?
( Parlava patois ?
( Chi patois ?
( Indè ! U francese !
Mais ce n'est pas si simple. En système de
diglossie, la variété haute ne dévalorise-t-elle pas la variété basse et ne la
fait-elle pas entrer dans un processus de dégradation, de corruption jusqu'à sa
dissolution ? D'où ce " franco-corse " et "corsancese" dont se
moquait déjà notre ami de Mari dans le célèbre "U mio figliolu quant'ellu ne
sà". La moquerie s'est vite transformée en déploration.
"Di quandu in quandu un pezzu si ne va
E ghjunta l'ora poi, senza fracassu
A capu inghjò si mette a vultulà
E noi simu in falata in ogni cosa "
Petru Santu Leca (Lingua corsa)
La menace d'un " sabir "
pourrait-elle être contrebalancée par un " créole " créatif susceptible
d'acquérir ses lettres de noblesse comme aux Antilles ?
Quelle langue corse pourrait nous donner une
authentique identité ? Peut-on transformer le piège de la diglossie en richesse ?
Deux réponses dans ce débat, des réponses
antagonistes, mais qui ne sont pas forcément contradictoires.
1) "la corsophonie" de Pascal Marchetti (1989)
Tant que nous étions dans un système :
langue italienne (" lingua patria " selon la définition de Salvadore Viale) /
dialecte, les parlers corses se portaient bien comme dans la péninsule. Avec la
disparition programmée de l'italien s'est posée pour l'idiome corse la fonction
probatoire d'identité. Coupé de la langue et de la littérature italiennes, selon
Marchetti, le corse végète, se défait, disparaît progressivement.
Le français glottophage enlève sa saveur à
ce qui fut un bouquet de parlers. Comment cette île " greffée a un rameau qui
n'était pas le sien " peut-elle retrouver la vigueur de sa langue si elle ne se
nourrit pas à nouveau de la sève italienne, qui porte en elle, par delà une langue
unifiée, toute la richesse des parlers et dialectes italiens ?
La normalisation de la langue n'empêche pas
son ressourcement et son irrigation par l'italien. Le " génie " de la langue
corse maintiendra ainsi sa vigueur et son originalité. C'est ce qu'exprimait Marchetti à
propos des " dialectalismes et régionalismes, usuels mais exclus de la norme des
régions voisines, assumés ici comme traits d'identité, qui dessinent, en s'alliant
parfois à des structures ailleurs tombées dans l'archaïsme, le profil du corse sur le
fond commun des dialectes italiens ".
2) " Papiers d'identité(s)
" de Jacques Thiers (1989).
Autre étude incontournable pour éclairer la
problématique du couple langue-identité. Prenant appui sur les enquêtes conduites avec
rigueur (questionnaires, interviews, écoute des médias..). Thiers observe le "
phénomène langagier ", ausculte l'état de la langue, interroge le "
questionnement identitaire " dont il décèle la nature conflictuelle, analyse avec
finesse le sentiment de culpabilité linguistique.
" A vera carta d'identità ùn saria una
carta di mentalità " (pour reprendre la parole manquée d'un " interviewé
") ?
Les sociolinguistes proposent une solution à
la menace de voir la langue corse disparaître et, par voie de conséquence, son peuple
(" Morta a lingua, mortu u populu " n'était-il pas le " delenda Carthago
" de Ziu Santu Casanova ?). Il faut savoir prendre appui sur le langage tel qu'il
est, quels qu'en soient, lorsqu'il est en perdition , les avatars et chercher à tirer
parti d'une situation de diglossie. L'essentiel étant que " la nouvelle langue
" garde le lien vivant avec le peuple et marque son identité propre, même si elle
devient métisse. La réponse est celle de la recevabilité générale des parlers.
La polynomie, concept élaboré par JB
Marcellesi, permet de récupérer le processus identificatoire dans une langue fondée sur
un mouvement dialectique et qui intègre les mécanismes phonologiques, lexicaux,
syntaxiques et stylistiques acquis dans l'usage quotidien du français.
Marchetti a bien vu que la démarche
socio-linguistique prend le relais du volontarisme identitaire et nationalitaire. Mais,
selon lui, cette démarche n'est pas parvenue à surmonter une nouvelle précarité
d'identité.
Aussi, affirme-t-il, de façon de plus en
plus insistante, que l'identité de la " lingua corsa " ne pourra pas s'affirmer
" si elle est bâtie sur un reniement culturel ".
Pour lui, l'étroite parenté de la langue
corse avec la langue et les dialectes italiens ne saurait constituer un obstacle à
l'identité du corse. " Sans complexe aucun, cette parenté doit être reconnue et
mentionnée, car toute configuration abstraite visant à l'occulter n'aboutirait, en fin
de compte, qu'à la destruction de l'idiome. "
En dépassant tout esprit de système, il
faut savoir reconnaître dans la thèse de Marchetti et celle des socio-linguistes bien
des points de vue pertinents susceptibles d'aider à enrayer la disparition de notre
idiome et à développer son usage parlé et écrit.
3) Esquisse et propositions
Il faut donner au corse un statut officiel
qui se fonde sur l'obligation de son enseignement (obligation morale et administrative) et
sur un usage dans la société civile défini dans le cadre d'une coofficialité
aménagée de façon intelligente. En 1862, Niccolò Tormmaseo ne préconisait-il pas
déjà l'usage du corse dans la vie publique : " Le gouvernement de la France ferait
uvre digne de cette grande nation et de la civilisation commune, en légalisant
l'usage en tout ce qui ne concerne pas les relations directes avec la suprême autorité
de l'Etat " (cité par Marchetti).
Il faut repenser l'enseignement du corse en
l'ouvrant davantage sur les langues romanes et notamment l'italien et procéder à un
réaménagement des études universitaires en y introduisant l'étude de l'italien tel
qu'il s'est fait à partir du latin et dans son rapport fécond avec les dialectes de
l'aire linguistique italienne.
La voie royale de l'enseignement du corse est celle du bilinguisme. Un enseignement
bilingue authentique doit être parfaitement maîtrisé. Ne fonde-t-il pas un homme à la
personnalité équilibrée sur un double registre culturel et linguistique ?
" L'homme ne s'improvise pas "
disait Renan.
Il faut encourager la création en langue
corse (littérature, théâtre ...) et en langue française, parce que ce sont les
uvres qui donnent sa voix et ses références à la personnalité d'un peuple.
Tout cela doit s'inscrire dans un projet de
société où l'économie ne se sépare pas de la culture et de la langue. Il faut trouver
la bonne articulation entre le Plan de Développement de la Corse et le plan de
développement de la langue et de la culture corses.
Il faudrait créer un Office ainsi qu'un
" Centre Régional de Formation et de recyclage en langue corse " impliquant
toutes les branches de la société civile.
Le trésor de " langue enfouie "
doit être mis à jour et briller de tout son éclat pour, avec le français et d'autres
langues romanes (l'italien de façon privilégiée), restituer le véritable profil
culturel et linguistique de notre communauté. |