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Jeudi 16
novembre 2000 Intervention du Président Raymond Ceccaldi devant l'Assemblée des CES Régionaux de France Palais d'Iéna - Paris. |
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Le 16 novembre 2000, dans le cadre du débat général sur la décentralisation, le Président Raymond Ceccaldi est intervenu, au Palais d'Iéna à Paris, devant l'Assemblée des Conseils Economiques et Sociaux de France présidée par M. Jean-Louis Chauzy, Président du CES de Midi-Pyrénées, et en présence de M. Jacques Dermagne, Président du CES National. (*) |
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Chers Collègues, Je profite du débat général sur la décentralisation pour m'exprimer aujourd'hui devant vous en accord avec notre Président Jean-Louis Chauzy - que je tiens à remercier de m'offrir cette occasion. Que n'a-t-on dit, plus particulièrement depuis bientôt trois ans, de ce bout de terre un peu plus grand, mais 7 fois moins peuplé, que l'Alsace : " un gouffre financier ", " un boulet que la France traîne à ses pieds ", " puisqu'ils veulent partir, qu'ils s'en aillent ! " Que n'a-t-on dit de ceux qui y vivent, y travaillent et tentent désespérément d'y produire de la richesse, de construire une Corse dynamique et prospère : tous des assistés, presque tous des clandestins ! Que n'a-t-on dit de ses élus, de ses fonctionnaires, de ses chefs d'entreprises : tous assoiffés de pouvoir, d'honneurs et d'argent, tous rebelles, presque tous maffieux. ! Que n'a-t-on dit de ses artistes, écrivains, musiciens : tous des séparatistes ! Enfin, que n'a-t-on dit de votre serviteur en lui prêtant un rôle qu'il ne peut - ni ne veut -, à la place qui est la sienne, assumer ! La Corse et la France, ce sont deux siècles et demi d'incompréhension mutuelle, de grands espoirs déçus, de violences et de drames. Je ne vais pas m'attarder sur l'action du comte de Marbuf, gouverneur militaire sous Louis XV, qui fit fusiller les bergers du Fiumorbu venus déposer leurs armes à sa demande et employa, dans un premier temps, des méthodes qui n'avaient rien à envier à celles de Gênes, occupant honni depuis le XIVe siècle. Je ne parlerai pas non plus en détails du traité de Versailles du 15 mars 1768, par lequel Gênes vendait - je dis bien vendait - la Corse à la France et dont Voltaire écrira, dans Le siècle de Louis XIV " Il restait à savoir si les hommes ont le droit de vendre d'autres hommes. Mais c'est une question qu'on n'examine jamais dans aucun traité. " Je ne m'étendrai pas plus sur l'attitude de celui qui écrivit à Pascal Paoli, " Général de la Nation Corse " et " Père la Patrie ", exilé à Londres : " Je naquis quand la patrie périssait. Trente mille Français vomis sur nos côtes, noyant le trône de la liberté dans des flots de sang, tel fut le spectacle odieux qui le premier vint frapper mes regards. " et qui, plus tard, parvenu aux affaires, comme l'on dirait de nos jours, ordonnait, à propos de la Corse, dans une lettre datée de La Malmaison en 1805 et adressée au Général Morand : " Et surtout je recommande de faire marcher la conscription. Il faut aussi prendre des mesures pour lever des marins. ". Cette vision de la Corse comme un réservoir de soldats et de fonctionnaires - et uniquement cela - aura la vie très longue. Il est vrai qu'elle était celle d'un homme qui n'était pas réputé pour avoir la vue courte. C'est ainsi que, pendant le premier conflit mondial, on envoya, en toute illégalité, des hommes de 48 ans, pères de six, huit et dix enfants, se faire massacrer à Dieuze et à Morhange. Plus de vingt mille hommes - bien plus que la moyenne nationale - disparaîtront dans cette guerre ; enrôlés dans le 173e régiment d'infanterie, qui se trouvait très souvent en première ligne, ou mobilisés dans les corps coloniaux - Tirailleurs Sénégalais ou Marocains - qui servaient de chair à canon. La Corse ne s'est jamais relevée de cette boucherie et l'économie corse fut stoppée au Chemin des Dames. Et dire que Clemenceau voulait, en 1871 et pour des raisons purement politiciennes, que cette Corse, qui va payer le plus lourd tribut de toutes les régions françaises entre 1914 et 1918, " cesse immédiatement de faire partie de la République Française " ! Pourtant, lors de la conflagration mondiale suivante, la Corse participera plus que tout autre département aux débarquements d'Italie et de Provence et Charles de Gaulle pourra dire qu'elle a " la fortune et l'honneur d'être le premier morceau libéré de la France." Il ajoutera : " Chaque fois que la France entame une période nouvelle de sa vie, il faut que les Corses en soient les artisans et les témoins. " Il était visionnaire : les événements de 1958 en témoigneront à nouveau. Le ton avait changé, pas le fond. Je passe rapidement sur les règlements coloniaux, au sens administratif du terme, applicables à la Corse jusqu'à une époque récente (régime douanier qui, jusqu'en 1912, assimilait la Corse à un pays étranger, territoire de " campagne " pour les militaires, primes spéciales pour certains hauts fonctionnaires, tarifs doubles pour les transporteurs locaux etc.) En 1954, la faiblesse du niveau de vie insulaire est telle que, si l'on se base sur l'indice 100, le revenu moyen par habitant est de 38 en Corse pour 166 à Paris et entre 118 et 137 dans l'Est et dans le Nord. La France prend peu à peu conscience de cette situation de sous-développement et, en 1957, un programme d'action régionale est enfin approuvé par le Gouvernement et publié au Journal Officiel. Il prévoit, notamment, la mise en valeur agricole et touristique de la Corse. Quelques années plus tard, l'installation des rapatriés d'Algérie sur la côte orientale et l'échec de cette mise en valeur de l'île vont déclencher le processus qui nous mène à nos jours, via la tragédie d'Aleria, en août 1975, où, titre Paris Match, " la Corse tue des gendarmes " et, l'année suivante, la création du Front de Libération Nationale de la Corse. Dès lors, l'île va entrer dans un cycle infernal qui perdure et s'amplifie depuis 25 ans. De négociations plus ou moins officielles en répression plus moins légale, de détentions plus ou moins arbitraires en amnisties plus ou moins opportunistes, de manifestations sincères en mascarades, sur fond de milliers d'attentats plus ou moins destructeurs et de dizaines de meurtres jamais élucidés, d'espoirs en échecs, nous atteignons, le 6 février 1998, le comble de l'horreur avec l'odieux assassinat du Préfet Claude Erignac, qui causera en Corse et en France continentale un traumatisme collectif dont les effets ne sont pas près de s'estomper. Un an plus tard, nous sombrons à nouveau, mais cette fois-ci il s'agit d'une tragi-comédie orchestrée par des serviteurs de l'Etat qui ont perdu leurs repères. Entre-temps, nous aurons connu la bi-départementalisation (en 1976), la promulgation d'un premier " statut particulier de la Région de Corse " (en 1981) et la création de l'actuelle Collectivité Territoriale de Corse (en 1991) et nous aurons ainsi souvent servi de laboratoire pour le reste de la collectivité nationale. Nous avons disposé de la possibilité de présenter au Gouvernement " des propositions tendant à modifier ou à adapter des dispositions législatives ou réglementaires en vigueur ou en cours d'élaboration concernant les compétences, l'organisation et le fonctionnement de l'ensemble des collectivités territoriales de Corse (...) ". Il s'agit-là de l'application de l'article 26 de la loi de 1991, devenu L. 4424-2 du Code Général des Collectivités Territoriales et déjà contenu dans la loi de 1981 (Art. 27). De 1983 à 1999, nous avons utilisé cette faculté une quarantaine de fois ; le Gouvernement a répondu favorablement 2 fois seulement et sur des questions relativement secondaires. La Corse de l'an 2000, c'est : - 8.750 Km² soit, je l'ai dit, l'équivalent de l'Alsace ; La Corse de l'an 2000, c'est aussi un taux de chômage supérieur à la moyenne nationale et touchant plus particulièrement les jeunes, une population âgée, un tissu de minuscules entreprises individuelles qui parviennent malaisément à survivre, une jeunesse accoutumée à la violence et tentée par toutes les dérives, une absence cruelle d'infrastructures sportives et culturelles... Pour que 25 ans de politiques si diverses, de programmes d'équipement, de subventions, de tractations ou de répression, d'aménagements statutaires, de dispositions spéciales, aient abouti à de tels résultats, et que l'un des Etats les plus puissants de la planète s'enlise ainsi dans une région qui représente 0,4 % de sa population, il faut qu'il y ait un problème, le problème corse, dont l'existence est, sciemment ou non, niée depuis les origines. En effet, comment résoudre un problème si l'on refuse d'en lire l'énoncé ? Le Premier Ministre actuel a eu ce courage et cette clairvoyance. À la question " Pourquoi le Gouvernement a-t-il engagé une
négociation sur le statut de la Corse ? ", il répond clairement, sur le site
Internet du Gouvernement : " Le Gouvernement a engagé des discussions sur la Corse
parce qu'il y a un problème corse. Il se traduit notamment par des phénomènes de
violence, politique ou non. Il est lié à des spécificités qui ne sont pas contestables
et qui tiennent à l'insularité, à l'histoire, à la culture. Le problème corse est de
nature politique. Certaines manifestations de violence sont d'une autre nature, mais
réduire le problème corse à une question d'ordre public ou de délinquance, mafieuse ou
non, n'est pas juste. Constatant le blocage de la situation à l'automne 1999, le Premier
ministre a décidé d'ouvrir une discussion avec les élus de la Corse, membres de
l'Assemblée de Corse, parlementaires, présidents des conseils généraux. Et s'il y a une alternative, quelle est-elle ? qui l'a suggérée ? Pour l'heure, le seul texte de référence demeure celui du 20/07/2000, élaboré après une série de réunions de concertation entre les élus de la Corse et les représentants du Gouvernement et adopté, le 28 juillet 2000, par l'Assemblée de Corse par 44 voix sur 51 votants. Ce document précise dans son préambule qu'il est établi afin " de mieux prendre en compte les spécificités de la Corse dans la République, tenant à sa situation insulaire et à son histoire, ainsi que les enseignements de l'application de son statut particulier et dans le but de clarifier les responsabilités dans la gestion des affaires de l'île, de favoriser son développement économique et social et de fonder durablement la paix civile. " Il prévoit des réformes dans les domaines : * de l'organisation administrative de la Corse et des
compétences de la collectivité territoriale ; Il indique qu'un projet de loi de programmation sera élaboré, pour permettre une mise à niveau des infrastructures publiques et que des discussions seront engagées avec la Commission européenne. Il fixe un calendrier législatif en précisant qu'afin " d'assurer la mise en uvre de celles des propositions qui appellent des mesures législatives pendant la présente législature, le Gouvernement élaborera un projet de loi, qui pourrait être déposé devant le Parlement avant la fin de l'année pour être voté en 2001. Les mesures relatives à la fiscalité sur les successions feront l'objet de dispositions fiscales spécifiques pour être mises en uvre à partir du 1er janvier 2001. " Ce texte est à votre disposition dans son intégralité. J'appelle seulement votre attention sur une confusion savamment entretenue par les médias, y compris insulaires, quant au pouvoir législatif qui serait accordé à la Corse. Je vous renvoie, sur ce point, à la réponse du Gouvernement : " Seul le Parlement peut et pourra voter la loi, en tant qu'acte juridiquement supérieur à tout autre que la Constitution et son préambule, les principes généraux du droit, les directives européennes et les traités. Ce principe ne peut-être et ne sera donc pas remis en cause. " J'ai tenu à apporter cette précision car les détracteurs de ce qu'il est convenu d'appeler le " processus de Matignon " se bornent à le critiquer, sans proposer de solution de remplacement, en invoquant le spectre de l'atteinte à l'intégrité de la République, du " danger pour la France ". La France, aurait donc, selon eux, peur des Corses, des Bretons, des Basques, de ses propres régions ! Soyons sérieux ! Notre Président, Jean-Louis Chauzy, a bien saisi l'inanité de cette objection quand il affirme que " la République est assez forte pour permettre le droit à la différence. " (Discours devant le Premier Ministre le 18/05/2000 à Matignon) Je citerai, enfin, le Président du Conseil Exécutif de Corse, M. Jean Baggioni, peu suspect de sympathie particulière pour le Gouvernement en place : " Depuis quelques mois, à l'initiative du Premier Ministre, un débat de nature exceptionnelle s'est ouvert. Discutable dans sa conception, délicat dans sa mise en uvre, il s'est avéré au fil des jours aussi difficile que nécessaire, aussi fragile que constructif. Nous y avons tous pris notre part, en apportant nos contributions, en confrontant nos idées, en opposant nos conceptions, sans nier ou renier nos origines, nos différences, nos idéologies, nos valeurs et nos principes. Y a-t-il de meilleur exemple de démocratie active ? " Je vais terminer avec deux observations et un appel. Je lisais, il y a peu, dans " Le Monde ", que la page de l'exposé des motifs du projet de loi sur la Corse - dite " Loi Vaillant " - qui sera très bientôt examiné par le Parlement, " était désespérément vide ". J'en connais au moins un : l'espoir de retrouver la paix ! Cette aspiration primordiale était celle de tous les intervenants qui se sont exprimés lors des auditions que le CESC a menées du 24 janvier au 2 février 2000, assumant ainsi pleinement son rôle en organisant l'expression de la société civile dans l'intérêt général de la Corse dans la République. Elle est aussi la mienne et j'ai eu l'occasion, lors d'une intervention télévisée, de le dire sans détours en affirmant que j'étais prêt, pour aboutir à la paix, à négocier avec l'Enfer. J'ai également, dans un communiqué de presse, condamné la violence, sous toutes ses formes, en affirmant que l'immense majorité de la population insulaire, persuadée qu'aucun avenir ne peut être fondé sur la violence, place ses espoirs sur les résultats du dialogue engagé entre tous ses élus et l'Etat. J'ajoutais que seule cette concertation et les mesures qui en découleront peuvent garantir à l'île le développement harmonieux et la paix civile auxquels elle aspire et que, au-delà de son aspect criminel, toute action tendant à s'opposer à la réussite de ce processus est donc condamnable en ce qu'elle s'oppose à l'intérêt général. Le processus de Matignon, approuvé, je le répète, par 44 élus territoriaux sur 51, a ouvert la voie d'une solution durable. Bien loin de le contrarier, il faut le comprendre dans l'intérêt de la Corse et du Pays tout entier. Nous attendons, donc, de votre part compréhension et solidarité. Cet été, dans une tribune publiée dans " La Dépêche du Midi ", et que vous avez tous lue, Jean-Louis a pris une position claire : il soutient la méthode, le contenu et le calendrier des accords de Matignon. Mes Chers Collègues souhaitez-vous, vous aussi, que nous vivions mieux, tous ensemble, dans la République ? (*) Les références historiques contenues dans cette allocution ont été empruntées à : Gabriel Xavier CULIOLI : "Le complexe corse" - Gallimard, Paris - 1990 et Philippe LABRO : "La queqtion Corse" - Editions Entente, Paris - 1977 |
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