2ème
SÉANCE DU MARDI 4 DÉCEMBRE 2001
PRÉSIDENCE
de M. Raymond FORNI
CORSE
-nouvelle lecture- (suite)
EXPLICATIONS
DE VOTE
CORSE
- nouvelle lecture - (suite)
L'ordre
du jour appelle les explications de vote et le vote, par
scrutin public, sur l'ensemble du projet de loi relatif à la
Corse en nouvelle lecture.
M. Daniel
Vaillant, ministre de l'intérieur - Les débats
des 27 et 28 novembre ont été, comme en première lecture,
constructifs et approfondis. Je tiens à remercier la commission
des lois, son président Bernard Roman et son rapporteur Bruno
Le Roux, ainsi que le personnel de la commission des lois et de
la séance pour leur indispensable concours. Le rejet de
l'exception d'irrecevabilité, de la question préalable et de
la motion de renvoi en commission nous a permis d'aborder le
texte au fond. Ainsi, chacun a pu prendre ses responsabilités
devant les Corses et l'ensemble des Français. Cette
transparence est une nécessité, tout particulièrement au
sujet de la Corse. C'est le choix qu'a fait le Gouvernement
depuis le début, et je me félicite que la majorité de cette
assemblée ait fait le même. Repousser ce débat aurait en
outre différé des mesures utiles et attendues.
Votre
commission vous a proposé de restaurer l'équilibre du texte.
Le Gouvernement est heureux que vous l'ayez suivie. Les élus de
Corse espéraient une synthèse entre le meilleur de
l'Assemblée et le meilleur du Sénat. On connaît leur
attachement au relevé de conclusions du 20 juillet 2000,
auquel le Gouvernement est pareillement attaché. L'objectif est
atteint. Les dispositions relatives à l'adaptation des normes,
aux transferts de compétences et à l'enseignement de la langue
corse ont retrouvé leur place, dans des termes qui témoignent
de la fidélité aux engagements que nous avons pris.
S'agissant
de l'adaptation de la loi « littoral », les débats
ont montré qu'un consensus ne pouvait se dégager alors même
que la commission des lois avait encore amélioré la rédaction
et rendu plus explicite la protection des espaces les plus
intéressants.
La
« bétonnisation » des côtes n'est ni voulue, ni
possible.
Avec
cet encadrement renforcé, auquel les élus de Corse ont
adhéré, le Gouvernement avait fait le choix de la confiance
aux élus, aux associations et à la population. La Corse a
besoin d'un développement maîtrisé et la nature est son
premier capital.
L'élaboration
du plan d'aménagement et de développement durable, préalable
obligatoire à toute adaptation, permettra de mener la
réflexion, toujours dans la transparence. Cette étape reste
indispensable et doit être engagée sans délai. L'Etat est
prêt à accompagner les élus, dans le respect de leurs
compétences, comme il l'avait déjà proposé dès 1998 pour
relancer le schéma d'aménagement de la Corse.
Le
plan permettra de faire apparaître l'étendue et la portée des
adaptations envisagées ou souhaitées. L'assemblée de Corse
pourra alors en saisir le Gouvernement en se prévalant d'un
projet d'aménagement qui fera taire les critiques, les
caricatures et la polémique.
L'apaisement
était indispensable. Les députés de Corse, qui se sont
exprimés avec une conviction persuasive lors de nos débats, ne
pourront qu'en convenir : ils avaient eux-mêmes proposé
ces derniers mois de différer cette disposition de l'article
12.
M. Jean-Pierre
Soisson - Vous allez voir ce qu'en pensent les élus
corses !
M. le
Ministre - S'agissant de la fiscalité, sur proposition de
la commission des lois, avec l'accord ou la bienveillante
compréhension du Gouvernement, votre assemblée a repris
certaines propositions adoptées par le Sénat concernant les
entreprises.
Il
ne fallait pas dénaturer un nouveau dispositif délibérément
orienté vers le soutien à l'investissement. C'est la condition
du développement de l'île et de l'amélioration de l'emploi,
déjà engagée mais qu'il convient d'accélérer.
Les
chefs d'entreprise doivent pouvoir participer pleinement à ce
nouvel essor économique. Il leur restera, pour mobiliser
l'ensemble des salariés, à dynamiser le dialogue social car
les fruits de la croissance devront être équitablement
partagés.
Concernant
enfin la fiscalité des successions, les dispositions que vous
avez adoptées visent à concilier
le respect des engagements du Gouvernement et la sécurité
juridique du texte.
M. Charles
de Courson - Au mépris de l'égalité des citoyens !
M. le
Ministre - S'agissant du programme exceptionnel
d'investissement, composante essentielle du projet, vous avez
souhaité en préciser les modalités d'élaboration et de
suivi. Avec la même détermination, le Gouvernement a, sans
attendre, engagé avec les élus de Corse, la concertation qui
doit rendre ce programme opérationnel d'ici à la fin du
premier trimestre 2002. Il restera ensuite à relever le défi
de l'efficacité pour que les investissements les plus
structurants soient réalisés dans les délais envisagés.
J'en
viens maintenant à la consultation des Corses sur ces nouvelles
dispositions. Sur le fond, le Gouvernement n'aurait aucune
raison de la craindre. Plusieurs études d'opinion ont
d'ailleurs montré l'attachement des Corses au processus en
cours (M. Bernard Roman, président de la commission des
lois, approuve).
Mais
des obstacles constitutionnels qui semblent absolus, s'opposent
à une telle consultation.
Cela
ne veut pas dire que la question ne devra pas être traitée
ultérieurement pour toutes les collectivités territoriales.
Des initiatives ont été prises dans ce sens, telles la
proposition de loi déposée par M. Michel Vaxès, qui a
pour objet d'y développer la démocratie participative. Mais
une simple proposition de loi n'est pas un cadre adapté pour
une réforme de cette importance, qui nécessite une étude
juridique très précise et justifierait la consultation
préalable du Conseil d'Etat. Mais il faudra bien que le débat
s'engage le moment venu.
Le
22 mai dernier, vous aviez adopté ce projet de loi en première
lecture à une majorité qui témoignait qu'au-delà des
clivages politiques, l'intérêt général pouvait primer.
Si
le vote de ce jour ne portait que sur le texte, cette majorité
serait encore renforcée, tant les travaux du Sénat et de
l'Assemblée nationale l'ont encore amélioré. J'ai du reste
perçu, dans certaines interventions, une évolution positive à
l'égard du projet de loi.
Cependant,
certaines déclarations annoncent des évolutions contraires.
Seraient-elles justifiées par la situation de l'île ?
S'il s'agit de la violence, rejetée par l'immense majorité des
Corses, ce serait faire de ses auteurs les maîtres du jeu.
Suspendre le projet serait leur céder et mettrait
inévitablement les futurs gouvernements en difficulté.
S'il
s'agit des distances prises par les élus nationalistes, là
encore suspendre ce projet - ce qu'au demeurant ils ne
souhaitent pas - équivaudrait à ignorer la volonté des
autres élus, qui représentent plus de 70 % des membres de
l'assemblée de Corse.
Le
Gouvernement s'est saisi d'un problème complexe et difficile au
nom du seul intérêt général. La primauté du débat
démocratique, la prise en considération des spécificités de
la Corse, son développement économique et social devraient
réunir les majorités d'hier, d'aujourd'hui et de demain.
J'en
appelle donc à la responsabilité de chacun et vous demande de
bien vouloir adopter le projet de loi relatif à la Corse. Il y
va de l'intérêt des Corses, et de la Corse dans la République
(Applaudissements sur les bancs du groupe socialistes et
quelques bancs du groupe RCV).
M. Jean-Pierre
Soisson - Ne rêvez pas !
EXPLICATIONS
DE VOTE
M. Michel
Suchod - Je m'inscris en faux contre une partie de vos
propos : il ne s'agit pas de l'expression des Corses, mais
de la nation tout entière (Applaudissements sur les bancs du
groupe RCV ; et quelques bancs du groupe UDF).
Si
vous vous intéressez à l'opinion des Corses, vous aurez noté
que dimanche, M. Alfonsi a été élu au Sénat par
55 % des grands électeurs de la Corse-du-Sud. Or il est un
des deux sur 51 conseillers qui se sont opposés au
processus de Matignon... (Applaudissements sur les bancs du
groupe RCV)
Nous
venons d'atteindre la quarantaine de morts cette année, dont
certaines dues au terrorisme intérieur, et avant-hier, une
gendarmerie a encore été mitraillée. Bien sûr, le débat a
marqué un recul de votre part sur l'article qui abandonnait le
littoral de la Corse à toutes les spéculations. C'est la
reconnaissance, fut-elle tardive, de notre point de vue car
votre bricolage expérimental ne pouvait manquer d'aboutir à
l'édification de paillotes sur tout le littoral.
Voilà
donc un progrès, mais pourquoi ne pas l'étendre au reste du
texte ? Vous légalisez la
circulaire Pantaloni de septembre 1999 en ce qui
concerne la langue, aujourd'hui parfaitement illégale. Qui
pourra résister à l'enseignement obligatoire du corse quand
les parents seront convoqués pour expliquer leur refus ?
Qui ne voit à terme les implications ethnicistes de cette
obligation quand viendra le temps de la corsisation des emplois,
réservés un jour aux seuls corsophones ? Peut-être leur
demandera-t-on de connaître quelques bribes de français...
En
ce qui concerne l'expérimentation législative, vous nous
demandez d'avaliser une loi jetable. M. Rossi, dans son
enthousiasme, aurait même proposé un amendement précisant que
cette loi avait une valeur transitoire, en attendant la
révision de la Constitution ! A quoi serviront les
compétences nouvelles ? Nous qui avons voté le
statut Defferre de 1982 ou la loi Joxe du
31 mai 1991 pouvons nous le demander car depuis dix
ans déjà, les élus corses disposent de compétences bien plus
étendues que les autres. C'était un système sur mesure qui
avait été dessiné par Pierre Joxe et José Rossi,
un petit Etat avec son assemblée qui élisait les conseillers
exécutifs, quasiment des ministres, et la possibilité de
demander à Paris des adaptations insulaires aux lois et
règlements nationaux en vertu de l'article 26 du texte. A
quoi a-t-il servi ? Il a servi de fondement à
23 demandes en dix ans : je vous les livre !
Elles portaient sur des demandes de dérogation fiscale, de
subventions - pour éviter des hausses d'impôts locaux (Rires
sur les bancs du groupe RCV) -, sur la création d'une
préférence corse pour le recrutement public ! Une seule
initiative, conforme à l'objet du texte, a abouti : celle
qui proposait de modifier une loi nationale relative à la
définition du débit minimal des cours d'eau pour la pêche en
eau douce ! (Mêmes mouvements) L'Assemblée corse
n'a jamais ressenti le besoin d'utiliser l'article 26, en
revanche, pour adapter la loi sur le littoral... Reste la
question de la réforme de la Constitution en 2004, qui ferait
basculer la Corse dans un régime d'exception. Tel n'est du
reste pas l'intérêt des Corses eux-mêmes, qui ont bien
plutôt besoin du rétablissement de la paix civile et de
l'ordre républicain. Les poseurs de bombes, les mitrailleurs de
gendarmerie doivent être empêchés de nuire. La Corse réclame
un développement économique, culturel et social. Ce n'est pas
le texte du Gouvernement qui y pourvoira, mais le
rétablissement de l'ordre républicain.
Les
parlementaires du MDC voteront donc contre ce projet de loi (Applaudissements
sur quelques bancs du groupe RCV).
Mme
Nicole Ameline - La décentralisation inspire aujourd'hui
toute l'Europe. Toutes les régions de France, non la seule
Corse, opèrent une véritable mutation. La démocratie
territoriale ne se construit pas contre la République !
L'unité de la République, ici, n'est pas en cause, mais le
système très décentralisé qui fait de la France une
exception institutionnelle au sein de l'Union européenne.
M. le
ministre, la politique doit s'inscrire dans la durée et
définir de véritables choix de société. La décentralisation
en est un. Elle fonde le lien nécessaire entre exigence de
proximité et cohérence nationale. Non, la République n'est
pas en danger mais, au contraire, en phase avec son temps.
Les
précédents statuts de la Corse avaient pour objectif la
pédagogie de la responsabilité. Ces dispositions juridiques
audacieuses n'ont pas eu les effets escomptés - mais il faut
saluer l'esprit de responsabilité des élus de l'île, et
singulièrement de deux élus Démocratie libérale,
MM. Rossi et Patriarche.
Si
nous continuons à juger nécessaire une solution juridique afin
de substituer à la violence d'autres valeurs ancrées sur le
droit, la décentralisation ne saurait être assimilée à
l'affaiblissement de l'Etat.
Or,
l'érosion continue de la légalité républicaine sur ce
territoire fragilise la portée d'un tel accord.
L'ouverture
institutionnelle a-t-elle pour corollaire la disparition
programmée de la violence ? On peut en douter, car ce
préalable a très vite disparu : comment peut-on envisager
d'appliquer un tel processus, en l'absence du rétablissement de
l'ordre républicain ?
Le
contexte de l'examen de ce texte n'offre pas les garanties
institutionnelles qui le sous-tend.
Du
reste, nous n'échappons pas à cette ambiguïté fondamentale
qui vous a engagés sur cette voie particulière : un
dialogue largement nourri par les exigences nationalistes -
même si vous avez effectué quelques revirements eu égard aux
engagements pris, notamment sur les dispositions de la loi
« littoral ».
Pour
autant, votre texte souffre d'une ambiguïté juridique
évidente, liée au principe de dévolution du pouvoir
réglementaire et législatif - y compris dans sa forme
remaniée.
Méthode,
contexte, ambiguïtés juridiques, arrière-pensées politiques,
reconnaissez que les conditions ne sont pas réunies pour
adhérer à ce texte !
S'y
ajoute cet engrenage institutionnel dont le calendrier ne permet
pas l'évaluation réelle, au risque d'engager malgré elles la
Corse et la République.
En
revanche, et parce que la Corse a besoin de renouveau
économique, les mesures proposées en ce sens méritent d'être
soutenues.
Nous regrettons, Monsieur le ministre, cette occasion
manquée. Le Gouvernement n'a pas, là comme ailleurs, engagé
une vraie réforme qui aurait donné à la Corse toute sa place
au sein de la République, elle-même résolue à ancrer son
unité, dans la diversité de ses territoires.
Pour
toutes ces raisons, le groupe Démocratie libérale, dans sa
très grande majorité, s'abstiendra donc ou votera contre ce
projet (Applaudissements sur les bancs du groupe DL).
M. Michel
Vaxès - Au terme de ce débat en nouvelle lecture, je
reconnais que le Gouvernement et la majorité de notre
assemblée ont, à l'évidence, mieux entendu quelques-unes des
préoccupations parlementaires communistes - notamment à propos
de la préservation du littoral corse. Défendu en première
lecture, repris par le groupe communiste du Sénat, à nouveau
défendu en deuxième lecture, notre amendement de suppression
des dérogations à la loi « littoral », a
finalement été adopté.
Dans
la discussion, certains de nos collègues ont fait remarquer que
ces dérogations pourraient être réintroduites à l'initiative
de l'assemblée territoriale de Corse en vertu de l'article
premier. Certes, mais ce serait alors à l'initiative des élus
de Corse. Ils en prendraient la responsabilité devant leur
opinion publique.
Pour
notre part, nous avons proposé que l'avis de nos concitoyens
puisse être recueilli sous la forme d'une consultation
populaire. Cela n'a pas été possible. Je le regrette, car je
reste convaincu que rien ne pourra durablement changer en Corse
si les Corses eux-mêmes sont privés du droit citoyen de
participer à l'élaboration, à l'adoption, puis à
l'application des dispositions qu'ils attendent pour l'île.
Nous
retenons qu'avec l'adoption de notre amendement, les
dérogations à la loi « littoral » sont désormais
supprimées. J'apprécie que le Gouvernement l'ait accepté, et
que notre collègue Noël Mamère, l'ait soutenu après s'être
un temps résigné à contre c_ur, à ne proposer qu'un
encadrement plus sévère des possibilités de dérogations
initiales.
Monsieur
le ministre, vous avez également accepté de préciser les
engagements de l'Etat relatifs au programme exceptionnel
d'investissement. Ce sont des dispositions parmi les plus
importantes du texte grâce auxquelles les Corses sont assurés
que ce programme trouvera un début d'application trois mois
après la date de publication de la présente loi. Le Parlement,
de son côté, obtient la garantie qu'il en sera régulièrement
informé.
Treize
milliards de francs pour remettre à niveau les infrastructures
et les équipements, treize milliards injectés pendant quinze
ans dans l'économie de l'île, c'est un engagement sans
précédent. N'est-ce pas ce que les Corses attendaient depuis
trop longtemps ?
Restaient
nos deux amendements à l'article premier. Le premier prévoyait
que le contrôle continu du Parlement et la possibilité de
mettre fin avant son terme à une expérimentation en cours
puissent être activés à tout moment, soit par l'initiative
parlementaire, soit par l'initiative populaire. Avec le second,
nous proposions qu'à la demande d'un cinquième du corps
électoral ou d'une majorité qualifiée des deux tiers de l'A.T.C.
une consultation pour avis puisse être organisée afin de
permettre à nos concitoyens de donner leur sentiment sur une
affaire qui va engager leur avenir pendant une longue période.
Si
vous avez accepté de renforcer le rôle d'évaluation continue
du Parlement et admis la possibilité pour notre assemblée de
décider d'interrompre une expérimentation en cours avant son
terme, vous avez rejeté notre proposition d'ouvrir par la loi
la possibilité pour toutes les collectivités territoriales -
en l'occurrence, ici, pour celle de Corse - d'organiser un
référendum consultatif d'origine populaire. Si vous deviez
persister dans cette voie, vous refuseriez de donner suite à
l'une des plus importantes et des plus décisives demandes de
notre groupe. Vous priveriez le peuple corse de tout moyen
d'exprimer son opinion sur le processus en cours avant 2004.
Je
rappelle que, dès l'annonce du processus proposé par le
Premier ministre, nous avions justifié notre soutien à la
démarche entreprise - y compris l'attribution aux
collectivités territoriales d'un pouvoir d'initiative
législative - mais à trois conditions. Tout d'abord, qu'elle
préfigure, pour tous les niveaux de l'organisation
administrative de la République une avancée significative de
la démocratie participative. A cette fin, elle doit inscrire
dans notre droit la possibilité de consulter nos concitoyens
sur les dossiers qu'ils jugeraient de première importance pour
leur avenir et celui de leur territoire. Ensuite, nous
souhaitions que cette consultation trouve une première
application en Corse avant ce projet de loi.
Enfin, nous demandions que le dernier mot revienne au
Parlement s'agissant de l'adoption définitive de la loi.
Sur
les deux premières conditions, le texte n'accède pas aux
demandes pressantes de notre groupe. Pourtant l'association
effective des Corses à l'élaboration des choix essentiels pour
l'avenir de l'île demeure le seul moyen de sortir de l'impasse
politique.
Au-delà,
la République a plus que jamais besoin de son peuple pour se
donner les moyens de réduire les inégalités encore criantes
entre les territoires et entre les citoyens.
Faudra-t-il
attendre longtemps encore pour que l'on comprenne que la
revendication de l'égalité des droits politiques devient
presque aussi importante que celle des conditions matérielles
d'existence ?
Faudra-t-il
attendre longtemps encore pour que rentre dans cet hémicycle la
voix de ceux qui, il y a déjà plus de deux siècles,
affirmaient : « Il y a longtemps que le riche fait
les lois ; il faut enfin que le pauvre en fasse à son tour
pour que l'égalité règne entre l'un et l'autre de nos
concitoyens. »
Parce
que nous avons continué de porter ici cette voix, vous admettez
aujourd'hui que nous avions eu raison de le faire et vous
envisagez enfin d'ouvrir le débat mais à une échéance non
précisée et dans des conditions assez floues. Cette ultime
avancée ne nous convainc pas tout à fait. C'est pourquoi le
groupe communiste maintiendra son abstention... (Exclamations
sur les bancs du groupe DL) ...abstention positive, oui, et
multipliera ses interventions jusqu'en dernière lecture pour
obtenir que la démocratie participative corrige les limites de
la démocratie représentative (Applaudissements sur les
bancs du groupe communiste).
M. Henri
Plagnol - Nous allons nous prononcer sur l'avenir de la
Corse, cette belle région attachée à son identité, à sa
langue et à sa culture, mais passionnément attachée aussi à
la République et à la France. Le sujet est donc grave. Or,
notre assemblée aura rarement été soumise à autant de
pressions et un projet de loi aura rarement été sujet à
autant d'incertitudes quant à son avenir.
Les
pressions, d'abord. Depuis le début du processus de Matignon,
dont le Premier ministre a pris l'initiative, les nationalistes
ont constamment fait de la surenchère, menaçant sans cesse de
se retirer s'ils n'obtenaient pas satisfaction. Nous avons donc
eu souvent le sentiment d'être mis devant le fait accompli.
D'ailleurs aucun amendement de l'opposition ni aucune
proposition du Sénat n'ont été repris par la majorité.
Incertitudes
sur l'avenir, ensuite. Incertitude constitutionnelle, en premier
lieu, car contrairement à votre laborieux plaidoyer, Monsieur
le ministre, il est très douteux qu'en l'état actuel de la
Constitution, l'on puisse transférer à une région française
un pouvoir législatif et réglementaire. Douteux également que
l'on puisse considérer le maintien de certains privilèges
fiscaux comme conforme au principe d'égalité devant la loi.
L'incertitude
est aussi politique. Il est à cet égard très significatif
qu'aucun parlementaire de Corse ne vote en fin de compte ce
projet.
L'incertitude porte enfin sur l'avenir de la Corse dans la
République. Certes, l'immense majorité des Corses restent
attachés à la France mais sur le continent, nos concitoyens
sont de plus en plus nombreux à éprouver une certaine
lassitude. C'est le résultat du processus dans lequel vous vous
êtes enlisés depuis des mois et dont l'autorité de l'Etat
ressort affaiblie : les assassins du préfet Erignac
courent toujours et depuis le début de l'année, trente
meurtres ont été perpétrés - et pas un seul élucidé !
Tout
au long du débat, l'UDF a répété que la bonne méthode eût
consisté à réformer la Constitution en y introduisant, pour
l'ensemble des régions françaises, un droit à
l'expérimentation, comme le proposait Pierre Méhaignerie (Applaudissements
sur les bancs du groupe UDF). Au lieu de vous attaquer à
l'exception française qui fait de notre pays l'Etat le plus
jacobin d'Europe, vous avez préféré, Monsieur le ministre,
créer une exception corse et faire de l'île le laboratoire de
l'expérimentation régionale. Vous risquez ce faisant de
discréditer durablement une réforme attendue avec impatience
par l'ensemble des régions de France.
Comment
en sortir ? Nous invitons la majorité à faire preuve de
courage et à prendre acte de l'échec du processus de Matignon.
Nous l'invitons à suspendre, d'ici aux prochaines élections,
l'adoption du statut de façon que la Corse ne soit pas l'otage
des contingences de la majorité.
Nous
vous invitons aussi à consulter directement les Corses, sous
forme d'un référendum consultatif, afin de clarifier leur
engagement. Nous vous invitons enfin - et nous en ferons l'une
des grandes réformes de l'alternance - à introduire dans notre
Constitution un droit à l'expérimentation pour l'ensemble des
régions.
Pour
toutes ces raisons, le groupe UDF dans sa quasi-unanimité (« Ah ! »
sur les bancs du groupe socialiste) votera contre ce projet (Applaudissements
sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).
M. Jean-Yves
Caullet - A l'initiative du Premier ministre s'ouvrait il y
a deux ans un dialogue transparent et constructif avec
l'ensemble des élus corses. Il aboutit en juillet 2000 à un
relevé de conclusions qui fut approuvé par une majorité
s'étendant au-delà des clivages habituels au sein de
l'assemblée de Corse. Puis le Gouvernement déposa, au début
de cette année, le projet sur lequel nous devons nous prononcer
aujourd'hui.
Deux
ans, cela peut sembler long, mais compte tenu des échecs
passés, ce délai était nécessaire pour que le débat se
développe sans éluder aucune question. Rien de solide ne se
construit à la hâte.
Ce
débat n'a pas été exempt de passion, mais comment aurait-il
pu en être autrement ? Des images caricaturales y ont
surgi parfois, mais nous avons su les dépasser, comme nous
avons su dépasser les calculs de circonstance ravalant la Corse
au rang d'enjeu politique hexagonal.
Le
texte est le résultat d'une démarche de confiance dans
l'avenir de la Corse. Grâce à lui, cet avenir est durablement
assuré dans le champ du débat démocratique. Nous en tirons
une légitime fierté et une grande confiance dans le succès de
la réforme.
L'Histoire
nous a montré que lorsque la République avance, les Corses
sont souvent en première ligne. Le groupe socialiste votera
donc ce texte qui est une avancée pour la République et pour
la Corse (Applaudissements sur les bancs du groupe
socialiste).
M. François
Fillon - Sur le dossier si complexe de la Corse, le
Gouvernement avait engagé un pari. Nous disposons aujourd'hui
du recul nécessaire pour en mesurer les chances de succès.
Elles nous paraissaient faibles à l'époque. Elles nous
semblent désormais réduites à néant.
Et
plus que jamais, nous contestons la méthode consistant à
traiter le cas corse de façon isolée. Car le Gouvernement a
donné ainsi le sentiment de rompre l'égalité de traitement
qui est au coeur de l'unité nationale.
C'est
cette égalité qui aurait permis d'ancrer le statut rénové de
la Corse dans l'architecture modernisée de la
République ! C'est elle qui aurait permis de répondre à
la demande de décentralisation sans ouvrir la porte aux
surenchères particularistes et à l'idée que la violence
pouvait être politiquement récompensée. C'est elle enfin qui
aurait permis au Gouvernement de ne pas s'enfermer dans un
face-à-face étroit avec les seuls élus corses, lequel est en
train de tourner au fiasco.
D'abord l'une des parties, à savoir les indépendantistes,
s'est retirée du processus de Matignon. Sans doute
n'était-elle pas la plus sincère mais du moins était-elle
partie prenante d'une démarche que le Gouvernement avait cru
bon d'engager avec elle, et en réalité pour elle.
Puis
on a continué à tuer et à détruire en Corse. Or le processus
de Matignon et ce projet de loi n'avaient de sens que dans la
mesure où les armes se tairaient. Tel était l'objectif
recherché par le Gouvernement. Malheureusement, la négociation
fut mal engagée. Comment prétendre instaurer la paix si, dans
le même temps, on renonce à exiger la dénonciation de la
violence ? C'est pourtant ce qui fut fait. Existe-t-il
l'ombre d'une concession chez les indépendantistes qui puisse
nous faire espérer une paix durable en Corse ? A ces
questions, le Gouvernement ne répond pas car il navigue à
vue ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR)
Les
conditions de la paix et du progrès ne sont pas réunies. C'est
pourquoi le groupe RPR invite le Gouvernement à prendre le
temps de la réflexion.
La
sagesse aurait été de suspendre l'examen de ce projet pour le
placer sur des fondements plus solides ; pour reprendre les
discussions avec tous, en particulier avec les citoyens de
Corse ; pour réhabiliter l'autorité de l'Etat et
réclamer une dénonciation claire de la violence ! Le
suspendre parce que les Français sont en droit de débattre de
la Corse lors des prochaines échéances électorales. Ne leur
confisquons pas ce débat et surtout donnons à la Corse le
moyen d'adosser son avenir institutionnel sur un véritable
socle démocratique !
Enfin,
il fallait suspendre l'examen de ce projet parce que
l'actualité éclaire d'un jour nouveau l'idée nationale. Nous
le voyons avec la crise du terrorisme, mais aussi avec les
difficultés de l'intégration, la nation est une chance vitale
pour notre avenir. Mais cette chance est fragile et menacée par
les tentations communautaristes, qui prospèrent sur la
faiblesse de nos convictions républicaines, s'alimentent de
notre défaitisme national.
Il
est donc temps de parler de la France ! Il est temps de
relancer les principes du contrat républicain ! Il est
temps de parler de ce qui nous rassemble plutôt que de ce qui
nous distingue !
Oui,
la sagesse aurait été de prendre le temps de la réflexion.
Mais le Gouvernement ne l'entend pas ainsi car il veut aller
vite. Il a tort de placer son orgueil dans un succès
législatif fondé sur des sables mouvants. Il a tort de ne pas
traiter dans un même élan la question corse et la question
française qui constituent les deux faces de la modernisation de
la République. Voilà pourquoi le groupe RPR votera contre ce
projet (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du
groupe UDF et du groupe DL).
A
la majorité de 267 voix contre 234 sur 555 votants et 501
suffrages exprimés, l'ensemble du projet de loi est adopté. |