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Allocution
de M. José ROSSI,
Président de l'Assemblée de Corse |
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José Rossi |
A L’OCCASION DE LA SÉANCE D’OUVERTURE DES TRAVAUX |
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DE LA 2ème SESSION DE 2001 - LUNDI 3 SEPTEMBRE 2001 |
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Lire l'allocution de M. Jean Baggioni, Président du Conseil Exécutif |
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Monsieur le Président, Messieurs les membres du Conseil Exécutif, Chers Collègues, Une fois de plus, la Corse est au cœur du débat national. Une fois de plus, c’est vers l’Assemblée de Corse que l’on se tourne pour écouter la voix de la Corse. Tout simplement parce que notre Assemblée, élue en 1998, renouvelée en 1999, a une légitimité et une responsabilité incontestables du fait de la diversité des sensibilités politiques qui y sont représentées, mais aussi parce qu’elle a su dépasser les clivages partisans pour se situer au niveau de l’intérêt général. Oui, l’Assemblée de Corse a su prendre ses responsabilités. C’est l’honneur des élus qui la composent. Dans une situation de crise, les représentants du suffrage universel ont su s’élever au dessus des intérêts particuliers, réfléchir pour préparer l’avenir et proposer des solutions rendant possible le redressement. Ils ont voulu ouvrir une voie nouvelle et montrer le chemin. Ils n’avaient pas et ils n’ont pas vocation à être à la traîne des propos d’estrades, des polémiques stériles ou des déclarations intempestives de ceux qui, à défaut de projet, jettent en permanence de l’huile sur le feu. Cet esprit négatif est exactement à l’opposé du choix que nous avons fait. Nous avons choisi le mouvement. Nous voulons agir ensemble pour faire avancer une réforme qui sera bonne pour la Corse. Une réforme qui pourrait inspirer ceux qui, pour la France entière, veulent promouvoir un Etat moderne. Comment notre Etat archaïque, qui n’est même plus capable d’assumer ses missions essentielles en matière de sécurité et de justice, pourrait-il continuer à gérer depuis Paris des compétences susceptibles à l’évidence d’être mieux exercées au plus près des citoyens et sous leur contrôle quotidien dans le cadre d’une démocratie de proximité. Forts de nos convictions et du travail considérable que nous avons déjà accompli, nous allons donc garder le cap malgré les paroles souvent légères et trop rapides des diseurs de mauvaise aventure. Mais cette détermination ne doit rien enlever au regard lucide que nous avons le devoir de porter sur le nouvel accès de fièvre qu’a connu la Corse cet été. Après les violences et les drames qui ont frappé la société corse, permettez-moi d’exprimer, depuis cette tribune, mon indignation personnelle, en condamnant, après beaucoup d’entre vous, avec force les assassinats, les attentats et les actes criminels qui ont été perpétrés sur notre territoire, et en apportant aux familles concernées le témoignage de notre compassion collective. Je souhaite également assurer M. TALAMONI, membre de notre Assemblée, de notre sympathie après la tentative d’attentat dont il a été personnellement l’objet. Je pense enfin exprimer le sentiment profond des insulaires en évoquant l’écœurement qui envahit toute personne normalement constituée devant la persistance de comportements inacceptables dans une société civilisée. Quelles que soient les rancœurs, les frustrations, les aspirations ou les espoirs de chacun, la violence n’a plus lieu d’être en Corse. Notre île doit sortir de cette logique du rapport de force permanent que tant d’années de désordre ont fini par institutionnaliser. Il est temps que la Corse gère ses conflits, individuels ou collectifs, selon le droit d’une société moderne. Nos concitoyens dans leur immense majorité ne peuvent plus accepter d’être les otages permanents de la violence ! Ils sont prêts à construire ensemble une société de confiance et de responsabilité. Le premier devoir des autorités publiques, en Corse et à Paris, est de les y encourager. C’est le sens même de la démarche engagée par les élus insulaires avec le gouvernement de la République et le Parlement qui a une valeur exemplaire : un dialogue démocratique et transparent pour créer l’espoir d’une solution durable au problème corse. Pour sortir de la confusion qui est sciemment entretenue par certains, que l’on regarde simplement d’où l’on vient. En 1998, après un quart de siècle de désordre et d’anarchie, l’assassinat du représentant de l’État, le Préfet ERIGNAC conduit à une prise en conscience brutale de la dérive insulaire qu’aucun Président de la République et aucun gouvernement, pendant toute cette période, n’a su enrayer. La population insulaire à l’unisson de l’ensemble des français a immédiatement condamné, de manière massive, cet acte symbolique extrêmement grave. Mais en 1999, la gestion chaotique et extravagante du Préfet BONNET, puis son départ dans des conditions ahurissantes créent de nouvelles tensions. Une action qui prétendait rétablir la légalité a été fondée sur des moyens manifestement illégaux avec un gouvernement qui a trop tardé à réagir face aux excès manifestement anormaux de son représentant. Il n’en fallait pas plus pour élargir le fossé existant entre les insulaires et l’opinion nationale. Une véritable fracture qui mettait d’un coté un gouvernement et des élus nationaux persuadés que pour stopper les dérives, il fallait aligner la Corse dans le cadre strict du droit commun. De l’autre, ceux qui recommençaient à justifier le recours à la violence à partir de l’ostracisme qui se développait à l’égard des corses dans l’opinion continentale. C’est dans ce contexte qu’après les attentats d’Ajaccio de novembre 1999, j’ai adressé, au nom de l’Assemblée de Corse, un appel pressant au chef du gouvernement pour lui demander de prendre une initiative. Le Premier ministre nous a apporté une réponse positive à l’Assemblée Nationale quelques jours plus tard avec la proposition d’une première rencontre à Matignon à laquelle ont été associés non seulement tous les représentants de la Collectivité Territoriale, mais aussi, contrairement à ce qui est dit parfois, tous les parlementaires de la Corse, députés et sénateurs, ainsi que les deux maires d’Ajaccio et de Bastia et les deux Présidents des Conseil Généraux de la Corse du Sud et de la Haute-Corse. Il nous a été demandé de faire des propositions de réforme susceptibles de sortir la Corse de l’ornière. Nous avons accepté. Nous nous sommes mis au travail et au bout de six mois, nous sommes arrivés à un relevé de conclusions communes. Ce texte a été approuvé par l’Assemblée de Corse, le 28 juillet 2000, avec une majorité massive de 44 voix (2 votes contre et 5 abstentions). C’est ce texte de référence qui fonde la réforme ambitieuse que nous avons engagée. Une réforme en deux étapes. Un premier projet de loi qui doit s’inscrire strictement dans le respect de la Constitution telle qu’elle est. Ce projet de loi a été voté en première lecture par l’Assemblée Nationale. Il devrait être voté définitivement, avant la fin de l’année 2001, après passage au Sénat en novembre. Un deuxième projet de loi, qui suppose une réforme de la Constitution à intervenir après les élections présidentielles et législatives de 2002, pour permettre notamment la création d’une collectivité insulaire unique avec la fusion de la Collectivité Territoriale de Corse et des deux départements, et accorder également aux élus insulaires un pouvoir d’adaptation des normes nationales dans le respect des principes généraux de la loi nationale. Cette réforme en deux étapes constitue un tout pour garantir la cohérence de l’action. Il s’agit en effet de parvenir à une unité de commandement exécutif pour sortir de la balkanisation du pouvoir insulaire tout en mettant en œuvre des contrepoids significatifs en matière de contrôle financier, juridique ou politique. Un nouvel équilibre des pouvoirs entre notre gouvernement local et notre Assemblée délibérante donnera alors toute sa force à notre nouvelle démocratie insulaire en phase avec l’esprit politique qui s’impose partout au sein de l’Union Européenne. Ces idées sont aujourd’hui en débat dans de nombreuses autres régions françaises. La modernisation de l’Etat constitue désormais un enjeu politique majeur. Du fait de son particularisme insulaire et de sa propre expérience statutaire, la Corse doit pouvoir aller plus vite sur le chemin difficile de la réforme. N’hésitons pas, par conséquent, à participer à ce débat national pour restaurer l’image de notre île et à défendre les idées que nous avons portées les premiers. Nous avions mesuré d’emblée les difficultés qu’il y aurait à surmonter les résistances inhérentes à cette réforme d’envergure tant dans la société insulaire que dans un Etat jacobin incapable de se réformer spontanément. Nous avions bien conscience que la Corse ne sortirait pas facilement d’une aussi longue période de trouble liée à une mutation brutale de la société corse. Mais nous avions la conviction que cette réforme serait bonne pour la Corse en lui donnant l’espoir d’une égalité des chances avec les autres régions. Le nouveau pouvoir local dont il est question, on ne le répétera jamais assez, n’est jamais que le droit commun des régions européennes, notamment des régions insulaires. C’est ce nouveau pouvoir local que notre pays n’a pas su, à ce jour, transposer en droit interne malgré les aspirations de plus en plus fortes de la plupart des régions françaises. Je rappelle enfin que dans notre délibération du 28 juillet 2000, nous avons accepté l’idée que l’ambition de la deuxième étape de la réforme ne pourrait pleinement se concrétiser d’ici 2004 que dans un climat apaisé par l’abandon de la violence comme moyen de lutte politique. Il est clair que pour atteindre cet objectif, il faut d’une part que tous ensemble nous poursuivions notre travail politique de rapprochement des positions des différents groupes dans un esprit de rassemblement, et que d’autre part, le gouvernement de la République soit en mesure de garantir beaucoup mieux qu’il ne l’a fait par le passé la sécurité et la justice pour tous. C’est la condition même d’une vraie liberté. A chacun, donc, d’assumer ses responsabilités. Aux élus insulaires de continuer à affirmer clairement une volonté collective durable. A l’Etat de se réapproprier ses missions régaliennes. Ce ne sont pas les corses qui s’en plaindront tant il est vrai que la tradition du service public dans l’organisation de l’Etat est fortement enracinée dans l’esprit insulaire. Les corses sont les premiers à souffrir de l’impuissance de l’Etat. Ils sont aussi les premières victimes du désordre. ***** Quelques mots enfin pour préparer les rendez-vous les plus proches. Les représentants des groupes de l’Assemblée de Corse rencontreront le 12 septembre prochain une délégation de la commission spéciale du Sénat chargée de préparer le rapport qui sera soumis à la haute Assemblée au moment de l’examen du projet de loi relatif à la Corse. Le Président Jacques LARCHE et le rapporteur Paul GIROD, avec les sénateurs qui les accompagnent, recueilleront toutes les propositions nouvelles qui pourront être formulées après le vote de l’Assemblée Nationale à l’issue duquel beaucoup de membres de notre Assemblée, pourtant favorables à la réforme, ont trouvé que le texte voté en première lecture était largement en retrait par rapport aux objectifs poursuivis. Il conviendra à cet égard d’être clair. Cette première loi, votée en 2001, doit être strictement conforme à la Constitution. C’est ce que nous avons nous-mêmes accepté en juillet 2000. L’Assemblée Nationale, comme l’avait demandé avec insistance le Président de la République, a déjà très largement mis en œuvre cette prescription. S’il restait encore quelques doutes sur la constitutionnalité de telle ou telle disposition, le Sénat ferait le reste. Mais par contre, dans le respect de la Constitution, il est possible d’accomplir encore de très grands progrès d’ici la fin de la navette parlementaire. Voyons déjà quel est l’acquis. Le premier texte voté renforce les compétences de la Collectivité Territoriale de Corse dans des domaines importants. Il apporte un fondement durable au statut fiscal de la Corse qui aura désormais vocation à encourager l’investissement productif. Il prolonge le régime d’exonération des droits de succession issu des Arrêtés MIOT, tout en imposant une indispensable reconstitution des titres de propriété. Il engage enfin l’Etat sur un effort sans précédent d’investissement représentant plus de 600 millions de francs de travaux publics supplémentaires chaque année pendant 15 ans. Là aussi, il faut savoir d’où l’on vient. Avant l’ouverture du dialogue, la mode à Paris, dans le prolongement du rapport GLAVANY et des interventions tonitruantes du Préfet BONNET, avec le même gouvernement et la même majorité, était à la remise en cause brutale des particularismes juridiques et financiers de la Corse, un sujet que personne n’aurait l’audace ou l’inconscience d’évoquer pour l’Alsace qui pourtant bénéficie de particularismes législatifs beaucoup plus forts que ceux de la Corse. Les Arrêtés MIOT étaient alors abrogés par de simples amendements parlementaires à la suite des initiatives unilatérales de MM. De COURSON et CHARASSE. La sortie de la zone franche imposée par le gouvernement laissait craindre un démantèlement progressif du statut fiscal. Au niveau européen, la sortie de l’objectif 1 se concrétisait par un désengagement de l’Europe qui réduisait considérablement le volume des investissements publics dans l’île… Seule la volonté déterminée des élus de l’Assemblée et de l’Exécutif corses de défendre farouchement ces dossiers a permis d’obtenir des résultats importants avec la compréhension des autorités gouvernementales et de la commission européenne au sein de laquelle notre compatriote Michel BARNIER a apporté une contribution active. Tout en voulant aller plus loin, reconnaissons donc les progrès qui ont déjà été accomplis et améliorons encore le contenu du projet de loi. J’indique les ajustements auxquels je pense par priorité. Il faudra mieux affirmer la primauté effective du pouvoir régional dans ses principaux domaines de compétences, adapter le projet de statut fiscal à la réalité des très petites entreprises singulièrement dans le secteur de l’artisanat, garantir notre collectivité des ressources permettant réellement de faire face aux compétences transférées, indiquer enfin de manière claire les priorités relatives aux équipements à financer dans le cadre du programme exceptionnel d’investissement. Je pense notamment au grand projet du tunnel routier de Vizzavona, dont la réalisation, comme la rénovation du chemin de fer corse, doit mobiliser la Corse entière. Sur la plupart des objectifs que nous nous sommes fixés sur cette grande réforme, nous avons réussi jusqu’à présent à dégager des majorités massives qui ont permis d’asseoir notre crédibilité dans nos rapports avec le pouvoir central. Et la méthode mise en œuvre a eu également des conséquences très heureuses sur les grandes politiques régionales que nous avons définies et qui ont été adoptées aussi à de très larges majorités. Notre Assemblée a tenu ainsi plus de 40 réunions depuis sa réélection en mars 1999. Elle a actualisé sans opposition aucune le plan de développement régional. Elle a renégocié les partenariats avec l’Etat et l’Union Européenne. Elle a redéfini la politique des transports en Corse en tenant compte des directives européennes, avec le souci constant de concilier ouverture à la concurrence et service public tant pour l’aérien que pour le maritime ou le ferroviaire. Elle a réformé son dispositif d’aide aux entreprises. Elle a lancé la construction d’un réseau régional à haut débit pour les nouvelles technologies de l’information. Elle a adopté le plan énergétique de l’île pour les 10 prochaines années. Elle a avancé vers des propositions innovantes dans le traitement des déchets et la prévention des incendies. Cela démontre que le grand débat sur la réforme ne nous a pas empêché d’agir très concrètement pour créer les bases d’un nouveau départ pour un développement harmonieux. Il nous reste néanmoins, je le signale avec force, à obtenir des pouvoirs publics nationaux des positions claires sur la question agricole. J’ai le sentiment sur ce point, les mois passant, que l’on essaie de gagner du temps pour régler un dossier très difficile. Il serait inacceptable que l’on arrive au plan national, à la fin de la législature, sans que les décisions essentielles aient été prises. Je demande donc une nouvelle fois, Monsieur le Président du Conseil Exécutif, de manière très solennelle que l’Assemblée de Corse soit saisie du dossier agricole et qu’en ces moments difficiles pour la profession, notamment dans le secteur ovin touché par la fièvre catarrhale, les agriculteurs corses aient la certitude que leurs problèmes sont aussi les nôtres. ***** Ainsi, nous avons su exprimer clairement et de manière responsable nos choix et nos ambitions pour la Corse. Notre détermination à les voir se concrétiser reste entière aujourd’hui. Pour poursuivre l’action engagée dans la continuité et dans le respect des engagements pris, l’Assemblée de Corse et le Conseil Exécutif peuvent s’appuyer sur une expérience incontestée et une connaissance en profondeur des réalités insulaires. Reconnaissons tant en Corse qu’à Paris qu’on ne sort pas du jour au lendemain de trente ans de violence, de désordre et de gestion erratique du dossier corse. On ne décrète ni la paix ni le développement. On les construit par l’adhésion de tous aux valeurs de la démocratie et de la liberté. Ne doutons pas de la capacité des corses à relever ce défi. Mais ils ne pourront pas le faire seuls. Ils ne pourront réussir que dans le partage d’une relation apaisée avec la communauté nationale. Une relation fondée non pas sur la méfiance et l’exclusion, mais sur la confiance et le respect mutuel. Le dialogue et le rassemblement qui nous avons déjà su construire ici constituent désormais les meilleurs fondements d’une réforme réussie. Il y a peu de temps encore, les pouvoirs publics nationaux appelaient la Corse au sursaut. Aujourd’hui, je vous invite à lancer le même appel aux responsables de notre pays. A Paris, le sursaut ce doit être d’abord de tout faire pour résorber la fracture qui s’est créée entre la Corse et le continent. Ce doit être aussi de reconnaître clairement notre identité et notre originalité insulaires dans la République. Pour cela, il est clair que la question corse ne peut pas être un sujet de polémiques au sommet de l’Etat. Ce que nous proposons aujourd’hui n’est en rien une étape vers l’indépendance. Ce que nous voulons c’est d’abord l’apaisement et la réconciliation en Corse même. C’est ensuite une organisation du pouvoir local insulaire qui nous permette d’exercer pleinement nos responsabilités dans le cadre de la République. Mais que chacun reconnaisse que la question corse, insoluble jusqu’à ce jour, nécessite un règlement politique faisant surtout appel à la raison et à l’intelligence des plus hauts responsables de notre pays. Après avoir demandé au gouvernement d’agir dans le domaine de ses propres responsabilités, j’adresse un appel au Président de la République pour que, dans ses responsabilités de gardien de nos institutions, il apporte sa propre contribution à une réforme qui, pour réussir, nécessite, à l’évidence, au sommet de l’Etat une convergence de vues sur l’essentiel. |
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