Par lettre du 17 janvier
2000, à la suite de la rencontre que vous-même ainsi que les autres élus de l'île avez
eue avec le M. Premier Ministre le 13 décembre 1999 à l'Hôtel Matignon, vous avez saisi
le Conseil Economique, Social et Culturel d'une demande d'avis portant sur les aspirations
de la " société civile " corse.
I - L'APPEL À LA SOCIÉTÉ CIVILE
Nous aurions pu choisir de laisser les représentants
désignés de la société civile constituée, c'est à dire les membres du C.E.S.C.,
s'exprimer seuls. Mais nous avons estimé que c'était là une occasion unique
d'expérimenter enfin cette démocratie participative dont on parle beaucoup et qui n'est
que peu mise en oeuvre.
Il n'est pas contestable qu'il appartient aux seuls élus
de délibérer, de choisir, de décider, de trancher au nom de la Collectivité dont ils
sont responsables devant le peuple. Il s'agit d'un des fondements de notre système
démocratique. Mais la société civile peut et doit apporter sa compétence
professionnelle, son sens de l'équilibre et du concret, sa pondération, ses projets, sa
vision de l'avenir et son expérience quotidienne du " terrain".
Les solutions efficaces passent en effet par une
libération de toutes les initiatives et de l'ensemble des énergies, ainsi que par
l'adaptation aux spécificités et aux aspirations locales des règles de procédure
nationales, trop souvent théoriques.
Si le chômage, l'exclusion, individuelle et collective,
les lieux de non droit, l'incivisme sont, entre autres, les vrais problèmes que la
société moderne doit résoudre, il lui faut pour cela s'appuyer sur ces acteurs
permanents que sont les entreprises, les organisations syndicales, les associations.
Car on ne peut tout à la fois regretter que ces
difficultés perdurent, que la majorité demeure " silencieuse ", que le citoyen
boude les urnes, donc l'expression populaire à travers le suffrage universel, et laisser
la vie publique s'enliser dans des jeux de rôles stériles au lieu d'en favoriser la
rénovation et par là-même la rénovation de la citoyenneté, qui ne peuvent se
concevoir sans un renforcement de la démocratie participative.
Dans cet ordre d'idées, le referendum d'initiative
populaire semble constituer un outil valable d'expression démocratique, à mi-chemin de
la démocratie directe et de la délégation totale.
Dans un discours prononcé en 1998 à Rennes, M. le
Président de la République appelait de ses v?ux " un nouveau souffle " pour la
démocratie locale et " la libération de nouvelles énergies démocratiques de notre
pays ".
Retrouver " la parole perdue ", tenter de la
redonner à ceux qui oeuvrent dans l'ombre pour essayer de progresser, c'est là
l'exercice de démocratie directe que nous avons décidé d'entreprendre, exercice a
priori peu aisé dans notre société bloquée, inhibée, sur-représentée, donc
habituée, résignée peut-être, à déléguer son message que, très souvent, elle ne
retrouve plus ou qui, presque toujours, lui revient déformé.
II - LA MÉTHODE
M. le Premier Ministre a lui-même défini la règle du
jeu dans son allocution d'ouverture de la réunion sur l'avenir de la Corse, le 13
décembre 1999 :
" Aucun sujet, dès lors qu'il est perçu comme
important pour la Corse, ne doit être écarté de la discussion ... ". " Je
crois souhaitable qu'à ces discussions soient aussi associés ...les acteurs de la
société civile ... ". " Il nous faut traiter les questions de fond et partir
des problèmes concrets qui sont à résoudre. ". " Quant à la démarche de
dialogue, elle doit être conduite d'abord entre les Corses... ".
Votre lettre de saisine comporte des indications de
méthode et délimite " les sujets qui constitueront les points centraux de la
réflexion " :
Aux côtés d'un " groupe de travail
composé des élus de l'Assemblée de Corse et des membres du Conseil Exécutif ayant
participé à la rencontre de Matignon ", le CESC " a vocation à traduire (les) aspirations
" de la " société civile, des acteurs économiques, sociaux et culturels qui
participent au développement de l'île et constituent une force importante de réflexion
et de proposition ".
Cette consultation porte sur les points suivants :
le
rattrapage du retard structurel de la Corse en matière d'infrastructures publiques et
d'équipements collectifs ;
la
répartition des compétences, la simplification de l'organisation des pouvoirs publics,
centraux ou locaux, la rationalisation de la gestion publique insulaire ainsi que
l'allègement des procédures ;
la
reconnaissance de la spécificité insulaire et les moyens d'en valoriser les éléments
(peuple, langue, culture, patrimoine foncier, environnemental et historique) ;
les moyens
de concrétiser ces réformes (pouvoir d'adaptation législative, refonte du statut
fiscal, nouveaux transferts de compétences et de ressources, loi de programmation des
moyens et dotations...)
Vous précisez, enfin, le calendrier des travaux.
" L'Assemblée de Corse doit faire remonter ses
propositions au Gouvernement au mois de mars prochain. Je vous propose donc que le CESC
puisse lui transmettre ses propres orientations d'ici à la mi-février. "
Nous avons opté pour une méthode de travail qui permette
à la fois la consultation la plus large et la plus ciblée possible : des ateliers
thématiques au rythme de deux séances de travail par jour, selon le calendrier suivant :
24/01/2000 : Culture - Jeunesse et sports.
26/01/2000 : Agriculture et pêche - Transports
27/01/2000 : Environnement - Éducation, formation,
recherche
28/01/2000 : Entreprises et syndicats - Santé et
social
31/01/2000 : Entreprises, patronat et tourisme -
Fiscalité
01/02/2000 : Problèmes de société - Métiers d'art.
02/02/2000 : Corses de l'extérieur, experts et
"candides " (toute la journée)
Chaque séance était présidée par le président du C.E.S.C. ; les
membres du Bureau ainsi que les Conseillers concernés ou intéressés y ont assisté.
Conformément à " l'esprit " voulu par M. le
Premier Ministre (et qui constitue la règle habituelle au sein du C.E.S.C.), aucun tabou,
aucune limite ni censure n'ont entravé ces entretiens.
Plus de 300 personnes -, responsables ou animateurs
d'institutions, d'organismes et d'associations impliqués au quotidien dans tous les
secteurs de la vie économique, sociale et culturelle insulaire, à quelques volontaires
exceptions près (" candides ") - ont répondu à l'appel du Conseil, soit en
participant physiquement aux réunions soit en fournissant des contributions écrites.
Dans une île qui ne compte qu'un peu plus de 250.000
habitants, un tel échantillon serait déjà arithmétiquement représentatif de la
totalité de la population. Il l'est d'autant plus qu'il ne s'agissait ni d'un sondage
d'opinion effectué à partir d'une méthode prétendument scientifique, ni d'une enquête
anonyme menée sur la base de questions prédéfinies et inévitablement orientées, ni,
enfin, d'un " interrogatoire guidé " car le Conseil s'est interdit toute
intervention autre que la simple demande de précisions ponctuelles.
Ce fut, bien au contraire, une consultation véritablement
ouverte et publique, dont nous avions manifestement perdu l'habitude et qui, avec non
moins d'évidence, a mis en lumière nos facultés d'analyse, notre sens critique et notre
volonté d'agir. Ce résultat nous paraît constituer à lui seul une réussite de
l'expérience.
La brièveté des délais qui nous étaient impartis, la
richesse et le nombre des contributions fournies s'opposent à la production d'un document
reproduisant ces dernières et que nous projetons d'élaborer et de publier dans un
deuxième temps afin qu'il soit versé au débat qui s'amorce.
Pour l'heure, vu l'urgence, nous vous faisons part des
grands enseignements que nous avons tirés de ces auditions et documents. Le présent
rapport s'efforce, sous une forme nécessairement synthétique, de refléter fidèlement
et impartialement le contenu de ces participations orales et écrites. Seuls les avis
isolés ou manifestement hors sujet - émanant quelquefois d'une seule personne - ne nous
ont pas paru devoir être retenus à ce stade.
III - LES ENSEIGNEMENTS
Ces consultations font nettement ressortir six évidences,
cinq indications fortes et de nombreuses propositions concrètes dans divers domaines.
III - 1. SIX ÉVIDENCES
* La paix : une forte volonté de retour
à la paix et à la tranquillité qui s'est traduite lors des débats par une absence
d'agressivité remarquable.
* L'action : un tout
aussi fort désir d'agir, de produire de la richesse, de construire une Corse dynamique et
prospère. Face à cet enjeu, nos interlocuteurs relativisent la question des moyens
et méthodes nécessaires pour y parvenir.
Tous s'accordent à dire qu'il ne faut plus avoir peur des mots et des concepts : "
avancées institutionnelles ", " autonomie ", etc.
* La clarification : le sentiment que le
système actuel est trop complexe, que c'est un " mille-feuille " responsable de
trop de blocages dans une île sur-administrée, politiquement sur-représentée et que
" tout cela ne fonctionne pas. "
* L'indispensable sauvegarde de notre identité
: la culture, la langue, la question corse en général, les notions de peuple, de
communauté de destin, de diaspora, ainsi que les relations historiques et culturelles
avec la France, la Méditerranée et l'Europe, occupent une place importante dans les
préoccupations des personnes entendues.
* La maîtrise de notre avenir
: la certitude que " pour en sortir ", les Corses, élus et professionnels,
associations et citoyens, doivent prendre toutes leurs responsabilités et que le
développement doit être choisi par eux-mêmes, décidé par eux-mêmes, maîtrisé par
eux-mêmes et non pas imposé et
dévoyé.
* Le peuple corse : sans avoir été pour
autant occultée, la question du peuple corse, et notamment de sa reconnaissance
juridique, n'a pas constitué un élément central des discussions. S'agissant d'acteurs
du " terrain ", les participants ont naturellement privilégié la recherche de
solutions concrètes pour l'avenir dans une approche pragmatique, considérant que la
réflexion théorique et symbolique relève d'une autre démarche politique et citoyenne.
III - 2. CINQ INDICATIONS FORTES
- La parole retrouvée : satisfaction de pouvoir s'exprimer librement,
libération par la parole, mais aussi grande
sérénité face à l'enjeu.
- Évoluer : les Corses sont demandeurs
de changement, de profondes réformes et veulent sortir d'un " statu-quo stérile.
"
- Un
espoir est né : les acteurs de la société
civile, conscients qu'une chance historique s'offre à la Corse de trouver enfin sa voie,
recommandent aux responsables - à tous les responsables - d'en prendre l'exacte mesure
afin que le processus engagé aille à son terme et ne génère pas, une fois encore - une
fois de trop ? -, des désillusions.
- Ne
jamais oublier : ces mêmes citoyens demandent à
leurs élus de ne jamais oublier les drames - tous les drames - qui ont endeuillé
l'histoire de l'île et les raisons - toutes les raisons - qui les ont provoqués.
- L'union pour faire la Corse
: pour la première fois lors d'un
débat public, les différents intervenants, socioprofessionnels, associatifs et
culturels, ont exprimé clairement leur convergence de vues sur le modèle de
développement durable qu'ils souhaitent pour l'île et qui doit s'articuler autour de
trois grands axes :
Tourisme / Agriculture / Environnement : intégrés et indissociables.
Langue / Culture / Patrimoine / Identité : terreau du développement et véritables éléments
constitutifs de base du peuple et de l'âme corses.
Statut fiscal : non pas dérogatoire mais spécifique.
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