Voir le rapport de M. Paul Girod
Sénat : séance du 6 novembre 2001
Le CESC de Corse image6b.gif (877 octets)
  Sénat : Séance du 06/11/2001 - Compte-rendu sommaire  
    7 novembre 2001 - 8 novembre 2001    

 

SENAT : 06/11/2001 

   
   

CORSE

M. le PRÉSIDENT -

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif à la Corse.

DISCUSSION GÉNÉRALE

M. VAILLANT, ministre de l'intérieur -

(Applaudissements sur les bancs socialistes) La question corse n'est pas simple, car elle se pose depuis vingt-cinq ans à tout Gouvernement, et cette histoire a été marquée par bien des drames, dont l'assassinat du préfet Erignac. Le Gouvernement a la détermination de déférer tous les auteurs de cet acte à la justice et je salue la mémoire de ce haut fonctionnaire.

M. le PRÉSIDENT -

Je demande au Sénat tout entier d'observer une minute de silence à sa mémoire. (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et observent une minute de silence)

M. le MINISTRE -

Il importe donc d'offrir à la Corse une perspective démocratique. L'indépendance ne saurait être la solution ni pour le Gouvernement ni pour la majorité des Corses qui veulent rester français. Leurs sacrifices passés et leur contribution au rayonnement de la France en portent témoignage.

Mais s'en tenir aux mots et aux incantations ne suffit pas. Il faut un projet concret et vivant, par essence démocratique, car respectueux de la volonté de la majorité. Seule l'élection et le libre débat peuvent faire prévaloir une conception.

Restera aux Corses de faire leur part du chemin, à condition que chacun évite la caricature et l'amalgame et ne fasse pas de la Corse, selon l'expression de Jean-Louis Andréani, « le bouc émissaire de la République ». Or, des paroles excessives et même injurieuses ont été tenues, qui ont blessé les Corses et les républicains sincères.

Les Corses ont le sentiment que l'île est l'objet de polémiques politiciennes : nous en avons eu un exemple récent. Qui conteste la nécessité d'un centre de détention spécifique ? (Exclamations à droite) Mais les vieux réflexes sont réapparus puisque d'aucuns ont déformé les propos que j'ai tenus. Pourtant, ceux-là mêmes qui me critiquent ont engagé jadis des négociations occultes avec les clandestins (Applaudissements sur les bancs socialistes. Exclamations à droite) et ne servent pas la République.

Face à la question corse, certains n'ont vu qu'un problème d'ordre public ; d'autres ont voulu relancer le développement, comme la loi du 31 mai 1991 de M. Joxe.

M. CECCALDI-RAYNAUD -

Pour quels résultats ?

M. le MINISTRE -

D'autres ont cru pactiser avec certains groupes, en privilégiant la « négociation » par rapport au « dialogue » : la prégnance des mots témoigne de la nostalgie d'une époque !

Une exploitation politicienne est toujours possible. Il faut donc poursuivre sans déroger aux principes. Nous avons dialogué avec tous les élus mais eux seuls : ne plaçons pas les nationalistes au centre du jeu. Nous avons dialogué dans la transparence, sur un projet qui reconnaît les spécificités de toute nature de la Corse, en s'inspirant des principes républicains. La loi s'applique sans acharnement ni faiblesse, et les résultats devraient convaincre même les sceptiques. Je salue le travail des fonctionnaires, victimes de violences inadmissibles et agressés, car agissant sans complaisance. Les services sont mobilisés, les inspections ont été multipliées. Les attentats et les homicides sont en diminution. (« Oh » à droite) L'amnésie n'est pas une vertu !

Qui pourrait croire que la violence cesserait du jour au lendemain ! Les enquêtes abouties établissent que la plupart des homicides relèvent du banditisme.

VOIX A DROITE -

C'est la même chose !

M. le MINISTRE -

Aujourd'hui les services ont retrouvé une cohésion qui leur a fait défaut, et la justice passe, en toute indépendance.

La violence marque-t-elle l'échec du processus ? Ce dernier trace une perspective, et l'interrompre serait renoncer au débat politique et céder à la violence.

Ce rappel s'imposait, car le Gouvernement, dans une situation difficile, doit fixer un cap. Un chemin a été parcouru, et il faut aller au terme. Les élus de Corse et les Corses partagent ce sentiment.

M. CECCALCI-RAYNAUD -

Vous les avez consultés ?

M. le MINISTRE -

Je respecte la Constitution, monsieur Ceccaldi-Raynaud ! (Rires et exclamations à droite) Le 22 mai 2001, l'Assemblée nationale a adopté ce projet de loi, dans le respect des engagements du Gouvernement et avec le souci de la sécurité juridique. Le Sénat s'en est saisi et a envoyé une mission en Corse. La commission spéciale a voulu mener un travail constructif et le Gouvernement est prêt à améliorer ce texte sans qu'il soit dénaturé. Déroger à nos principes offrirait un prétexte à la violence.

Tenir compte de la spécificité de l'île, clarifier sa gestion, favoriser son développement, tels étaient les principes de relevé de conclusions. Le principe de précaution juridique ne saurait nous dissuader de mettre en oeuvre les dispositions de ce relevé, mais en recherchant le consensus. Certaines de nos propositions font débat, au regard de la Constitution et du Conseil d'Etat. Sont-elles dangereuses pour la République ? Elles s'inscrivent dans un statut déjà reconnu et dans des perspectives de décentralisation autrement plus audacieuses. L'unité de la République n'est pas uniformité, et la place du Parlement n'est nullement remise en cause.

L'article premier conforte les compétences de l'Assemblée de Corse dans l'adaptation des normes réglementaires et législatives. Le Parlement se prononcera au cas par cas dans le domaine réglementaire -dans le respect de l'article 72 de la Constitution-. Nous nous inspirons ici de l'article L 4-24-20. S'agissant des dispositions législatives, le projet de loi définit seulement une procédure d'expérimentation autorisée par le Parlement et sous son contrôle, comme l'a voulu le Conseil constitutionnel.

Le projet -articles 4 à 29- clarifie les compétences de la collectivité pour conforter le statut en clarifiant les responsabilités. Un territoire de 260.000 habitants doit avoir des structures simples ! Nous voulons faciliter l'exercice de la démocratie.

La langue corse ?

M. CECCALDI-RAYNAUD -

Il n'y en a pas.

M. le MINISTRE -

Nous offrirons un enseignement général de cette langue sans le rendre obligatoire. Thème consensuel mais à forte signification symbolique. Il est temps de reconnaître la place de cette langue.

L'article 12 relatif à la loi littorale organise un développement équilibré. Mais le Gouvernement est disposé à conforter le consensus, dans le respect de l'esprit du texte qui vise à responsabiliser les élus. Il s'agit de concilier environnement et développement.

Le volet fiscal, avec des aménagements, vise là aussi à stimuler le développement. Le Gouvernement déposera un amendement visant à créer un crédit d'impôt à taux différencié pour favoriser un nouvel élan économique.

Pour les successions, nous devons sortir d'une situation vieille de deux siècles. Le texte propose une solution. Pour le reste, le texte veut contribuer au développement économique. Mais il forme un tout : il reconnaît l'identité culturelle de la Corse dans la République, dans un esprit de responsabilité. Il vise à accroître la vitalité de la démocratie de l'île en se donnant pour seuls interlocuteurs les élus du suffrage universel.

Ainsi nous confortons le lieu historique, culturel et affectif qui fait de la Corse une si belle partie de la France (Applaudissements sur les bancs socialistes ; Mme Luc applaudit également).

M. Paul GIROD, rapporteur de la commission spéciale (rapport 49) -

Nous avons affection et admiration pour cette île, et compassion et solidarité pour ses habitants.

Monsieur le ministre, vous avez cru bon de commencer votre intervention sur un ton polémique (Exclamations à gauche). D'autres vous répondront sur le même ton... La commission a accompli un travail approfondi, malgré les contraintes de l'urgence. Comment oeuvrer ainsi dans la précipitation ? (Très bien à droite).

La mission du Sénat en Corse a commencé par le dépôt d'une gerbe en hommage au préfet Erignac -et je remercie M. le Président du Sénat d'avoir pris l'initiative de faire observer une minute de silence à la mémoire de ce haut fonctionnaire assassiné dans l'exercice de ses fonctions- et s'est achevée par une rencontre avec l'Association des femmes contre la violence. Nous souhaitons tous unanimement arriver à ce que la question de l'appartenance de la Corse à la République française ne se pose plus.

Mais, sur l'île, nous avons pris la mesure des problèmes, perçu des opinions variées et senti le désespoir de la population victime depuis si longtemps de violences répétées -qu'elles soient politiques ou de droit commun- et sans vrai développement.

Les élites sont parties souvent pour rendre sur le continent des signalés services à la République, et il demeure difficile d'entreprendre en Corse même si une nouvelle génération aspire à engager un développement économique qui serait le vrai facteur de progrès.

La Corse -cette montagne dans la mer- c'est la France, ce n'est pas la Beauce. Elle a sa culture et son histoire ; sa spécificité ne tient pas seulement à la violence.

Ce texte peut-il arrimer vraiment la Corse à la République ? Il demeure fragile au regard de la Constitution ; il intervient à un moment particulier du processus de Matignon, en établissant de façon insidieuse la tutelle d'une collectivité sur les départements et communes de l'Île, ce qui est contraire à la Constitution dans sa rédaction actuelle.

Selon vous, le contrôle du législateur rend possible l'expérimentation constitutionnelle. En fait, il n'y a aucun transfert de compétence législative dans l'île ; nous sommes en novembre 2001 ; le calendrier ne laisse aucune place pour une loi d'expérimentation avant -au mieux !- l'automne 2002. Il est impossible que cela débouche sur une réforme constitutionnelle en 2004 !

Quant au pouvoir réglementaire, il ne se découpe pas ; se référer à l'article 21 de la Constitution ressemble à une pirouette.

En ce qui concerne la composition de la Commission des sites, comment justifier une telle dérogation au droit commun ? Et je ne parle pas de l'article 45 bis, sur lequel le Conseil constitutionnel s'est déjà prononcé.

Pourquoi ne pas explorer la voie de lois propres à chaque région ? A l'article premier, nous avons tenté de rendre le dialogue entre l'Etat et la Corse plus opérationnel ; nous proposons également de reconstruire les offices sur des bases saines.

J'en arrive à la culture corse. Personne ne nie qu'elle existe et se développe... si l'Etat continue de jouer son rôle.

La langue peut être conçue comme un instrument de repli ou d'ouverture. Par essence, c'est une langue romane qui peut permettre de rompre l'isolement insulaire en facilitant l'apprentissage de l'espagnol et de l'italien.

M. SIGNÉ -

C'est compliqué !

M. le RAPPORTEUR -

Mais il faut préciser que l'enseignement de la langue régionale doit être facultatif : on ne peut s'en remettre au Conseil constitutionnel ! (« Très bien » à droite)

Curieusement, nous avons découvert que le CAPES de Corse était fermé sur lui-même : nous avons décidé de le remettre dans le droit commun.

J'en viens au fameux article 12-1 relatif à la loi littorale. Qui ne peut souscrire à l'élaboration d'un plan de développement durable ? Mais comment accepter que la délégation permettant de déroger à la loi littorale soit sans contrôle et sans limitation de durée ? Nous avons cherché une solution en nous inspirant du droit forestier : la piste mérite d'être considérée car elle est à la fois pratique et d'application immédiate.

Restent plusieurs compétences transférées, et que la commission spéciale a acceptées : culture, transport, patrimoine, tourisme, environnement, agriculture, assainissement ; impossible de dire que nous traînons les pieds ! Il faut que l'île se développe ; c'est indéniable. Le Gouvernement a proposé des crédits d'impôt : nous y souscrivons, même si nous avons été surpris d'apprendre que vous annonciez la mesure avant toute décision du Parlement... Pourquoi exclure du plan d'investissement le BTP ? Les entreprises doivent pouvoir s'y préparer !

J'en viens au fameux arrêté Miot ; il faut sortir prudemment du système qui protégeaient le patrimoine, mais poussait à la prolifération des indivisions.

En ce moment, nos compatriotes corses nous écoutent. Nous devons rester à la hauteur de l'attente de 260.000 de nos concitoyens qui souffrent. Evitons tout blocage pour leur redonner espoir. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Jacques LARCHÉ, Président de la commission spéciale -

Le « processus de Matignon » est engagé depuis presque deux ans. Votre commission spéciale a fait en sorte que son examen par le Sénat ne soit pas retardé. Tous les commissaires ont regretté que le calendrier ne permette pas à tous les sénateurs de prendre connaissance de l'excellent rapport...

M. DREYFUS-SCHMIDT -

C'est toujours le cas !

M. le PRÉSIDENT de la COMMISSION -

... de M. Paul Girod qui s'est fondé sur les travaux de la délégation et sur les auditions de la commission.

Au cours de notre mission en Corse, nous avons ressenti avec fierté la considération portée au Sénat et l'attente de nos compatriotes, déçus par l'Assemblée nationale. De nos rencontres, fructueuses mais rapides, j'ai tiré plusieurs enseignements. D'abord, la certitude que nous devions examiner ce texte ; ensuite, un profond sentiment de sympathie envers les Corses, affectueuse sympathie, certes, mais qui n'exclut pas la franchise ; enfin, que nous devions engager une réflexion sur notre propre destin.

Nous n'avons pas voulu, malgré les événements de l'été, retarder l'examen de ce texte : nous avons reçu l'approbation des plus hautes autorités de l'Etat. Certains étaient tentés par un refus immédiat ; mais après le drame d'Aléria, le problème corse demeure et s'est même aggravé...

La tentative du Gouvernement diffère des précédentes. Toutes ont plus ou moins échoué ; le Président de la République a fermement rappelé qu'aucune réforme ne saurait justifier l'abandon de nos principes et la mise en cause de l'unité de la République. Depuis 25 ans, les responsabilités sont partagées.

M. SIGNÉ -

Le bel aveu !

M. le PRÉSIDENT de la COMMISSION -

Dans la perspective d'un nouveau statut, nous devons réaffirmer notre solidarité à nos compatriotes insulaires et dire aux Corses, Français et républicains, que nous avons compris qu'ils avaient été meurtris par certains propos. Faut-il rappeler tout ce que nous devons aux Corses ? Faut-il rappeler les listes interminables des morts sur les monuments des villages, le serment de Bastia, la résistance à Vichy dès les premiers jours ?

Nous devons dire la vérité aux Corses. Ce projet apporte des réponses appropriées sur de nombreux points sous réserve de certains aménagements. Dans le domaine économique, par exemple, il ne suffira pas d'injecter de nouveaux crédits ! Mais ce qui était proposé pour l'organisation institutionnelle de l'île n'est pas, aujourd'hui, juridiquement possible.

Cette construction, imaginée au dernier moment, s'il faut en croire un livre récent (Sourires au centre et à droite), a fait naître des espoirs infondés. Ce qui n'est pas possible aujourd'hui, le sera-t-il demain ? Ce que nous devons refuser aujourd'hui, même à regret, nous devons, demain, le rendre possible. L'Etat a fait la France ; ce qu'il a fait est solide. Maintenant, il doit passer à la confiance. Notre pays doit prendre conscience de ses diversités ; la Nation a besoin d'une respiration nouvelle.

Il faut commencer à envisager de nouvelles règles : nouvelles lois permettant plus de souplesse, extension d'un pouvoir réglementaire normatif... C'est alors que la Corse pourrait alors être française, républicaine et légitimement, cette fois, différente (Applaudissements au centre et à droite).

M. DREYFUS-SCHMIDT -

Le temps, c'est du sang !

M. RAFFARIN -

Les circonstances doivent chasser tout esprit de polémique. Ce dossier nous porte à réfléchir ; selon le père Bandelier « entre abattre les tours de Manhattan et abattre le préfet Erignac, il y a une différence mathématique, il n'y a pas de différence éthique ».

En l'occurrence, les intentions ont été gâchées par la gouvernance, cette gouvernance qui vous a conduit à placer les nationalistes au coeur du processus. Progressivement, les républicains corses ont été marginalisés. Grave erreur !

Pourtant, des propositions existent, mais seule celles des nationalistes ont été retenues. Aujourd'hui, le développement de la Corse est pris en otage par un débat qui n'a pas lieu d'être. La région n'est qu'un échelon de la République (Applaudissements à droite) et la France est bien plus que la somme des régions !

Nous demandons simplement que les différences puissent exister dans la République une et indivisible. En fait, avec votre article premier, vous donnez à la décentralisation des ailes tellement grandes que vous l'empêchez de marcher, comme l'albatros de Baudelaire !

Aujourd'hui, vous êtes dans l'impasse comme le disait le Président de Rohan, ce matin dans un grand quotidien. Vous cherchez l'accord pour l'accord ; (Applaudissements à droite) nous voulons, nous, que vous sortiez de l'ambiguïté.

Ce que nous vous proposons -mais cela méritera une réforme constitutionnelle- c'est de suivre une autre démarche : celle de la délégation républicaine.

Mme LUC -

Que n'avez-vous fait tout cela quand vous étiez au pouvoir ?

M. RAFFARIN -

Nous tirerons les leçons de vos échecs. (Applaudissements à droite).

M. MAUROY -

Des vôtres !

M. RAFFARIN -

Je ne veux pas polémiquer...

Mme LUC -

C'est sûr !

M. RAFFARIN -

... Surtout devant M. Mauroy, qui a initié la décentralisation.

M. DREYFUS-SCHMIDT -

Vous étiez contre !

M. RAFFARIN -

La responsabilité, ce n'est pas l'abandon, mais un Etat qui s'affirme. (Applaudissements à droite)

Présidence de M. Jean-Claude GAUDIN,

Vice-Président

M. VALLET -

Alors que les nationalistes voient peu à peu toutes leurs demandes exaucées, y compris le regroupement des terroristes incarcérés, (M. le ministre manifeste son désaccord.) la violence se poursuit : toujours plus pour condamner l'ordre républicain ! Comment pouvons-nous négocier avec ceux qui veulent ouvertement conduire la Corse à l'indépendance ? Comment ne pas constater que le dialogue républicain que vous avez sincèrement voulu a complètement échoué ? Ils sont une poignée sur l'île à vouloir créer un paradis fiscal et à asseoir une autorité qu'ils ont du mal à légitimer sur le suffrage universel. (« Très bien ! » à droite)

M. LORIDANT-

C'est vrai.

M. VALLET -

Cette loi n'est, pour tous les excités de l'île, qu'une étape : M. Talamoni veut l'indépendance avant 2006 ! Seuls les nationalistes, en 1999, réclamaient un nouveau statut. Selon un ancien premier ministre, « si les Corses veulent l'indépendance, qu'ils la prennent ». Mais ils n'en veulent pas pour au moins 80 % d'entre eux ! Ils veulent qu'on accepte leur spécificité mais, plus que tout, que l'ordre règne sur l'île. Les Corses ne veulent plus être les marginaux de la République. Pourquoi une singularité corse et pas savoyarde ou picarde ? Comment refuser aux autres régions ce que vous accordez à la Corse ?

Ce texte répond à une inacceptable logique d'exception, alors que l'exigence de démocratie de proximité s'affirme sur tout le territoire.

L'Etat doit rechercher ce qui rassemble et non ce qui divise : avez-vous réfléchi aux risques ?

L'ancien enseignant que je suis est heurté par les dispositions relatives à la langue corse. La langue officielle de la France ne peut être le corse ou le provençal ! Je refuse un texte qui donne satisfaction à l'inouïe revendication des nationalistes : réserver les emplois publics aux Corses ! Et quelle discipline sera sacrifiée ? Le français ? Qu'en pense M. Lang ?

En présentant ce texte, vous cédez au chantage des indépendantistes, reniant toutes les promesses de M. Jospin qui, en 1999, déclarait qu'un nouveau statut était inutile et que l'apprentissage de la langue corse n'était pas acceptable.

Il est encore temps, monsieur le ministre : renoncez au projet, ne donnez pas une prime à la violence, ne donnez pas l'impression que 10 % d'excités -même armés- comptent plus que 90 % de la population corse, exigez une véritable volonté de paix. Il est encore temps de ne pas accepter ce qui peut éloigner la Corse de la France.

La plupart des membres du RDSE rejoignent les conclusions du rapporteur. (Applaudissements au centre et à droite)

M. de ROHAN -

(Applaudissements à droite) Sur ce débat plane l'ombre tragique d'un préfet lâchement assassiné, mon condisciple et mon ami : j'affirme ma fidélité à sa mémoire et ma volonté de voir ses assassins condamnés. (Applaudissements à droite)

Qui ne souhaite une paix durable en Corse ? Nos concitoyens ont bien gagné le droit à la sécurité et à la tranquillité. Mais la paix peut-elle être fondée sur l'abaissement de l'Etat ? Meurtres et exactions, nous dit-on, ne relèvent plus du terrorisme politique, mais du terrorisme mafieux. Mais un procureur général affirme ne pouvoir séparer le banditisme mafieux de l'autre : l'un et l'autre se confondent en formant une « zone grise ». La révolution culturelle et politique nécessaire n'a pas été accomplie, le culte du voyou a été renforcé, le clan se porte bien, ont déclaré deux nationalistes qui ont été assassinés à un an de distance. M. Talamoni, loin de répudier la violence, n'a cessé de réclamer l'amnistie pour les criminels de sang : les petits meurtres entre amis continuent. Le processus de Matignon n'est pour les nationalistes qu'une étape sur la voie de l'indépendance.

Le parallèle avec Nouméa ? Talamoni n'est pas Tjibaou. En Nouvelle-Calédonie, les protagonistes recherchaient sincèrement un accord. Pourquoi discuter de l'avenir avec des violents ? Pourquoi l'instauration de l'Etat de droit ne constitue-t-il pas une condition essentielle ?

Le Gouvernement a pris le risque de l'inconstitutionnalité, malgré la décision du Conseil constitutionnel de 1991 et l'avis défavorable du Conseil d'Etat. Le Gouvernement a passé outre les réserves du Président de la République... A bon droit, la commission spéciale s'est opposée à la toute-puissance de l'assemblée corse. Reste que le texte voté par les députés donne le pouvoir législatif et réglementaire à une collectivité locale. Le projet est, en l'état, inconstitutionnel. Le Gouvernement donne droit aux plus radicaux : voilà où mène la recherche d'un compromis à tout prix.

Il existe des spécificités et une identité corse, qui peut le nier ? mais bien d'autres régions souhaitent obtenir de telles compétences ! Il faut inscrire les réformes destinées à la Corse dans un processus d'ensemble (Applaudissements sur les bancs RPR). On pourra débattre d'un nouveau partage des pouvoirs, d'un éventuel état fédéral : il ne faut pas opérer une révision camouflée de notre Constitution.

Le Breton que je suis comprend l'importance de la langue corse. Les langues régionales n'ont pas toujours été soutenues. Leur disparition porterait atteinte au patrimoine de nos régions. Toutefois, la langue corse ne doit pas être une arme contre la République et la langue française ou servir de prétexte à la corsisation des emplois. Proposez l'enseignement de cette langue, ne l'imposez pas. Nous voterons la réécriture sans ambiguïté des dispositions relatives à la langue corse.

Nous souscrivons aux mesures économiques et fiscales, sous réserve de contrôles car il faut aider nos compatriotes à rattraper leurs retards. Quant à la loi littoral, que je sais imparfaite, les propositions de la commission sont raisonnables. Des groupes financiers, dont certains disposent de fonds d'origine douteuse, ne doivent pas bétonner des côtes d'une grande beauté : une urbanisation respectueuse de l'environnement est possible, la loi littoral restant un utile garde-fou.

Il faut continuer à rechercher des solutions durables, les effectifs nécessaires étant attribués à la police et à la gendarmerie. Il faut donc rompre avec la culture des armes...

M. BOULAUD -

Des cagoules !

M. de ROHAN -

Tant que la loi ne sera pas respectée, la Corse vivra dans l'inquiétude. Nul clan, nulle formation ne doit s'arroger le monopole de l'expression politique... Les élections législatives de 2002 donneront l'occasion de choisir entre évolution et indépendance. (Applaudissements à droite)

M. ESTIER -

Ce n'est pas le choix !

M. de ROHAN -

Les Corses doivent pouvoir améliorer leurs infrastructures et développer leur économie. La mise hors la loi des trafiquants prouvera leur volonté d'évoluer de manière appropriée.

Concitoyens corses, vous avez donné à la France un de ses fils les plus illustres et beaucoup de morts ; la France vous a, pour sa part, beaucoup apporté, c'est un nouveau contrat qu'il faut élaborer au sein de la République. Rejetez les forcenés et les criminels !

Aux Métropolitains...

M. BOULAUD -

Les Continentaux !

M. de ROHAN -

... je dis : « sachez que les Corses vivent parfois moins bien que vous ! »

Au Gouvernement, je dis qu'il est comptable de l'indivisibilité de la République, nous le lui rappellerons chaque fois qu'il le faudra. (Applaudissements à droite)

M. HOEFFEL -

Notre devoir de législateur est de parvenir à une analyse dépassionnée de ce problème corse, surtout lorsqu'on ne connaît pas -comme moi- tous les éléments de la situation. Nous devons cependant nous prononcer. Mon groupe considère que la Corse et les Corses méritent estime, respect et solidarité, car ils ont beaucoup donné à la République. Mes contacts avec la Corse et les Corses me conduisent à une appréciation positive.

La spécificité corse ? J'y ai été confronté au ministère de l'aménagement du territoire. L'insularité impose des solutions originales, mais la Méditerranée n'est pas le Pacifique !

Il ne faut pas dissocier un statut de la réalité ambiante. Ce retour à l'ordre doit être amorcé et les décisions de justice appliquées. Je m'associe, à ce propos, à l'hommage rendu au préfet Erignac lâchement assassiné. Le respect de l'autorité de l'Etat demeure une exigence prioritaire, et pas seulement en Corse.

Notre groupe est globalement favorable aux conclusions de la commission spéciale. Je me bornerai à quatre questions essentielles. D'abord, le pouvoir d'adaptation législatif et réglementaire : l'article premier pose, à l'évidence, des problèmes constitutionnels. Nous approuvons la prise en compte des spécificités de la Corse. La substitution de la collectivité territoriale de Corse aux offices, elle, devrait améliorer la cohésion de l'action économique.

La langue corse, ensuite. Je comprends l'aspiration à une langue régionale, qui ne menace pas l'unité de la République et j'approuve la déclaration, à ce propos, du Président Giscard d'Estaing. Il n'est, en revanche, pas souhaitable de rendre l'enseignement du corse obligatoire pour tous. Il faudra en outre trouver les enseignants !

M. CECCALDI-RAYNAUD -

Comment ont-il fait jusqu'à présent ?

M. HOEFFEL -

Rappelons-le, une langue régionale vivante est d'abord transmise par les familles. (Applaudissements à droite)

J'en viens à l'environnement corse. Le régime du plan d'aménagement et de développement durable doit être clarifié. En matière d'urbanisme, il faut appliquer le droit ! Qu'on ne laisse pas faire ceux qui veulent se substituer au droit comme à Sperone.

Enfin, le développement économique : nous approuvons le dispositif financier et fiscal du projet tel qu'il est amélioré par la commission spéciale. Encore faut-il que les moyens soient employés à bon escient.

L'ensemble du dispositif doit être replacé dans la perspective plus générale de réflexion sur l'avenir de la décentralisation en France. La Sardaigne, les Baléares dont on cite le développement en exemple ? Les Etats concernés connaissent une décentralisation plus avancée que la nôtre ! (« Très bien » à droite) L'Etat centralisé n'a pu assumer ses missions de sécurité et de justice en Corse. Et ailleurs ? Un transfert de compétences doit être étudié pour que l'Etat se recentre sur ses missions essentielles.

Les accords de Matignon évoquent pour 2004 une simplification des niveaux de collectivités territoriales. Une expérimentation peut être utile, mais pourquoi la faire d'abord ici plutôt que là ? Nos institutions ne sont probablement plus adaptées et l'Etat central s'adapte mal. Des voix s'élèvent, à droite comme à gauche, pour juger l'uniformité dépassée : la France est le pays européen qui résiste le plus à l'évolution. La Corse est un des révélateurs des pesanteurs actuelles de l'Etat unitaire. Je ne critique pas le Gouvernement d'avoir recherché des solutions à sa manière. Au-delà, il faudra mettre en chantier rapidement une nouvelle étape de décentralisation qui adaptera nos institutions à notre temps. (Applaudissements au centre et à droite)

M. BRET -

Le Parlement se penche encore sur la question corse et les sénateurs communistes se réjouissent de ce débat. Le processus de Matignon a permis en effet de placer les élus corses au centre du débat pour s'attaquer à la violence et au retard de développement économique. Il faut combattre ceux qui tentent de déstabiliser la société corse. La violence ? Les Corses en ont assez. On ne parle presque plus, et je le regrette, des courageuses femmes corses qui s'y sont opposées. Et les assassins du préfet Erignac ne sont pas tous arrêtés. Il est temps de faire fructifier les potentiels de l'île, malgré l'insularité et le relief. C'est à une réelle solidarité que tout projet efficace doit s'attacher. Or les priorités sont inversées avec le texte : le débat porte sur les institutions et le rattrapage économique et social n'est plus évoqué, sauf par les communistes. Ceux-ci refuseront toujours de livrer une composante de la France aux appétits financiers et maffieux. La précarité des saisonniers montre la fragilité des statistiques économiques corses. La part des emplois industriels est faible. La Corse se situe au quinzième rang de nos régions pour le revenu... Et la solidarité nationale aide à vivre.

C'est la participation de la Corse au PIB -0,3 % !- qui montre l'étendue du problème. Seul l'investissement productif permettra à l'île d'évoluer avec la création d'infrastructures. Il faut 3 h 30 pour faire Bastia-Ajaccio en train, plus que pour Paris-Marseille par TGV. La question des transports est importante puisque 5 millions de voyageurs et des centaines de milliers de voitures sont transportés dans l'île. La desserte des ports corses est satisfaisante et l'ouverture du trafic aux compagnies étrangères justifie nos réserves. L'article 36 pourrait favoriser des ponctions de crédits en faveur des chambres de commerce : on risque de porter atteinte au service public maritime. Je me réjouis à cet égard de la décision récente prise par la juridiction administrative en faveur du service public maritime.

M. le RAPPORTEUR de la COMMISSION SPECIALE -

Vous évoquez les conclusions du commissaire du Gouvernement : la décision sera rendue ce soir.

M. BRET -

Concernant les crédits d'impôt, l'expérience a montré que les exonérations fiscales ne créaient pas à elles seules que des emplois stables. La dispersion et le gaspillage de fonds doivent être évités. Les sénateurs communistes sont opposés au développement de ces aides proposé par la commission spéciale.

Ce développement ne sera pas obtenu sans production insulaire propre. L'article 46 n'est pas satisfaisant. Le tourisme n'est pas la panacée : la Côte d'Azur ne s'en contente pas. Notre collègue Laffitte le sait bien qui a créé Sophia-Antipolis ! Tourisme et environnement relèvent de la République. Il faut adapter nos institutions pour que ceux qui vivent en Corse oeuvrent avec efficacité au développement de l'île. Nous sommes favorables à une réforme des institutions, mais ni le texte des députés ni celui de la commission spéciale ne nous satisfait : la décentralisation doit permettre le transfert du pouvoir des mains des uns aux mains de tous, sur tout le territoire de la République.

Où est la place du peuple corse ?

La proportionnelle ne doit-elle pas être instaurée partout ? Pourquoi ne pas associer les habitants ? Pourquoi ne pas étendre les procédures de consultation ? Ah ! que n'a-t-on repris la proposition de loi communiste.

Nous sommes tous réservés sur l'article premier : nous en proposerons la suppression car, selon nous, seul le Parlement vote la loi. Nous nous interrogeons dans une moindre mesure sur le transfert du pouvoir réglementaire : songez au droit de grève des marins corses ! L'article 26 de la loi de 1991 permettait déjà d'aller loin. Pourquoi n'a-t-il pas été vraiment mis en oeuvre ?

Les Corses ne veulent pas de l'indépendance, mais les nationalistes se retirent du processus en cours : or la situation prévue pour 2004 ne sera possible que si la violence disparaît. Vous avez semblé varier dans vos déclarations, Monsieur le ministre (M. le ministre le nie). Mais si !

Le Parlement ne veut pas se laisser piéger. Les sénateurs communistes refusent de jouer avec la Corse.

Je reviendrai sur l'article 7 relatif à la langue corse -l'enseignement du corse ne doit pas être obligatoire-. Un équilibre doit être trouvé entre protection du littoral et urbanisation et sur l'inquiétude des fonctionnaires de l'Etat exerçant leurs activités en Corse.

Il est grand temps d'éclairer le débat car le processus de Matignon est en crise. La majorité sénatoriale refuse toute idée de transfert de pouvoir politique, tout en acceptant la désagrégation de l'Etat. La poussée fédéraliste est grande. Les sénateurs communistes refusent que la Corse devienne un laboratoire. En 1991, nous avons soutenu la reconnaissance du peuple corse, dans le cadre de la France. Souvenons-nous de ceux qui, sous l'occupation fasciste, ont su mourir en Français et en corse (Applaudissements sur les bancs communistes et à droite).

M. BEL -

(Applaudissements sur les bancs socialistes). Nous savons qu'il faut placer la discussion au bon niveau car il s'agit de répondre à la souffrance de ceux qui depuis près de trente ans ne connaissent que la peur, les larmes et la désespérance. Quelle réponse leur apporterons-nous ?

Monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, souvenez-vous de l'émotion qui nous a saisis en septembre. Nous avons rencontré les acteurs de terrain dans l'île, et notamment les femmes corses qui se sont exprimées avec passion.

Jean-Louis Andréani a refusé à juste titre que la Corse soit le bouc émissaire de nos rancoeurs. Finissons-en avec les caricatures et les préjugés. Réfléchissons à des solutions concrètes, dans une situation historique. Où est la solution alternative à ce projet ? (Applaudissements sur les bancs socialistes) Le silence est assourdissant et le projet de loi amendé par le Sénat serait vidé de son sens et désamorcerait la dynamique.

Les Corses ont suffisamment montré leur attachement à la France pour qu'on cesse de leur demander de le prouver. M. Baggioni a raison de parler d'humiliation à ce sujet. Mais les cartes jusqu'ici mentaient : la Corse -cette montagne dans la mer- est à 200 kilomètres du continent et jouxte la Sardaigne. L'insularité est une réalité, avec ses conséquences psychologiques, dont la tentation du repli sur soi.

Après moi, deux voix autorisées s'exprimeront, M. Mauroy et M. Le Pensec. Le rappel des principes ne suffit pas : il faut trouver des moyens clairs de les appliquer. L'article premier soulève l'opposition du Sénat, car il accorde plus de prérogatives et plus de responsabilités.

M. MARINI -

C'est contraire à la Constitution.

M. BEL -

La majorité sénatoriale, minorité nationale, ...

M. MARINI -

Plus pour longtemps !

M. BOULAUD -

Ne vendez pas la peau de l'ours !

M. BRAYE -

Plus de hauteur !

M. BEL -

... refuse ce projet, alors que M. Méhaignerie, à l'Assemblée nationale, a déposé une proposition allant dans le même sens.

La Constitution autorise pourtant des innovations. De plus, que propose la droite ? M. Jacques Chirac lui-même, dans son discours de Rennes, est allé dans le sens suggéré par le projet.

La langue corse ? Offrir l'enseignement de cet élément du patrimoine répond à la demande des familles, qui veulent que les enfants apprennent la langue de la République, mais aussi la langue de leur milieu culturel le plus proche. Ou bien la langue corse est reconnue et promue et sera un gage d'évolution, ou bien elle est ignorée ce qui accentuera le déséquilibre culturel et, avec lui, le fonds de commerce de certains extrémistes. Une différence linguistique -le corse ici, le breton ou l'alsacien là- met-elle en péril la citoyenneté ? La République est-elle si fragile qu'elle soit menacée par un enseignement dispensé dans ses écoles ?

La Corse n'est pas la Beauce, comme l'a rappelé le rapporteur : assumons nos différences, sans crainte.

La Corse est une île dans la République, et les Corses, -Français- veulent être reconnus.

La Cour de Strasbourg a encadré par avance cette évolution, qui devrait favoriser un véritable « vivre-ensemble ».

M. Le Pensec évoquera l'article 12 relatif à la loi littoral : le problème ici -celui du développement et de la protection de l'environnement- est plus large, et le risque de bétonnage de la Corse semble écarté. Encore faut-il impulser un nouveau développement -grâce à des équipements structurants- et en finir avec le serpent de mer de la fiscalité des successions.

Nous avons une responsabilité à assumer devant l'histoire, car nous devons faire vivre -sans le figer- notre idéal républicain. Le groupe socialiste s'opposera à l'exception d'irrecevabilité, reflet d'une vision frileuse, voire glacifiée, car l'adopter serait faire le lit de ceux qui prônent la violence. Disons oui à une République qui sait évoluer et sait répondre au voeu consensuel des élus.

La droite qui s'est opposée à la décentralisation et à la loi Joxe l'a regretté par la suite. Travaillez avec nous pour la République !

M. SIGNÉ -

La chute est belle.

M. BALARELLO -

Une partie du territoire français est la proie d'une poussée indépendantiste et le problème est là sérieux, comme l'expliquait notre ancien collègue Caillavet : ce pays est pauvre en hommes, en ressources, avec son pastoralisme rudimentaire, et cette pauvreté provoque l'exaspération des jeunes, séduits parfois par des terroristes minoritaires.

La Corse, devenue française en 1764 - avant Nice et la Savoie - est fière de ses grands hommes : un empereur, mais aussi combien d'hommes politiques, de grands commis de la République ou d'avocats, à commencer par Moro-Giafferi qui parlait de « La Corse continentale qu'on appelle la France ».

Dois-je rappeler notre empire colonial qui a tant offert aux jeunes Corses, et nos guerres ? Si nous pouvions poser la question aux Corses, le refus de l'indépendance serait clair. Mais l'article 11 de la Constitution nous en empêche. En tout cas, il appartiendra à l'Etat d'organiser une élection transparente à l'Assemblée de Corse et chacun sera mis alors devant ses responsabilités. La violence devra alors être sanctionnée avec rigueur.

La Corse a besoin d'un statut spécial : l'Europe a donné l'exemple de la subsidiarité et cela fonctionne de la Catalogne au Tyrol, n'en déplaise à nos préjugés jacobins, si partagés. Mais la paix civile est à ce prix.

La commission nous propose un toilettage remarquable du projet de loi qui nous vient de l'Assemblée et dont le titre II rencontre déjà notre approbation, même si le personnel des offices supprimés doit être rassuré.

Le titre III comporte des mesures fiscales et sociales qui vont dans le bon sens et sont conformes aux voeux de l'Assemblée de Corse. Le régime des successions qui date de l'arrêté Miot du 21 prairial an IX a eu des effets pervers, avec les multiples indivisions, et va être modernisé grâce à la commission spéciale.

J'approuve aussi la modernisation des infrastructures car le PIB de la Corse doit se relever rapidement.

Reste le titre Ier : le Parlement est tenu en lisière par la décision du Conseil constitutionnel du 9 mai 1991 et l'amendement de la commission sur l'enseignement du corse rencontre mon approbation. Cet enseignement doit être encouragé, à l'heure de la mondialisation, mais le libre choix des parents - continentaux ou étrangers - doit être préservé. En fait, ne suffit-il pas d'accroître l'attraction des langues régionales au bac en renforçant leur coefficient ? (Très bien ! à droite). Toutes les communes de Corse sont soumises soit à la loi « littoral », soit à la loi « montagne » et certaines aux deux ; de ce fait, elles voient leur expansion entravée.

Cela dit, le littoral corse -si magnifique- attire la convoitise de spéculateurs et d'affairistes, et je soutiens le texte de notre commission qui n'autorise que des constructions bien encadrées et dans le respect de l'action du Conservatoire du littoral. Un tiers des 1.047 kilomètres de littoral corse est déjà protégé !

Je voterai le projet de loi amendé, qui consacre une évolution comparable à celle de certaines régions européennes. M. Rossi et M. Baggioni ont fait preuve de courage en plaidant pour l'autonomie et elle seule. Comme disait un grand Corse, « la haute politique est le bon sens appliqué aux grandes choses ». (« Très bien ! » à droite)

La séance est suspendue à 19 h 35 pour reprendre à 21 h 30.

Présidence de M. Daniel HOEFFEL,

Vice-Président

La séance reprend à 21 h 30.

M. NATALI -

« J'ai quelque pressentiment que cette petite île étonnera le monde » écrivait Rousseau dans le Contrat social...

Le coeur du problème corse est simple et tient en un mot : développement. Point n'est besoin d'être grand clerc pour le comprendre ! Dans leur immense majorité, les Corses veulent vivre dans la paix républicaine. C'est ce qui a conduit la commission spéciale à déposer des amendements judicieux et porteurs d'espoir.

En ce qui concerne l'enseignement de la langue corse, de grands progrès restent à accomplir ; les moyens nécessaires doivent être mis en place.

En matière d'aménagement, il faut concilier protection et développement ; pour cela, faisons confiance à la responsabilité des élus et agissons avec mesure ; entre la sanctuarisation et l'urbanisation, il y a des solutions acceptables pour tous. Le tourisme est notre seule industrie : il faut en tenir compte ; c'est pourquoi je me désolidarise complètement du dispositif envisagé par M. Paul Girod à l'article 12 ; son texte me semble inapplicable. (Rires au centre)

Autre sujet sensible : les ports et les aéroports. Le transfert des biens de l'Etat à la région doit s'effectuer en toute clarté.

Je me félicite enfin des propositions fiscales du rapporteur, pour les entreprises comme pour les particuliers.

Finalement, le doute coexiste avec l'espoir, puisque l'essentiel, l'ancrage de la Corse à la République, est préservé. (Applaudissements au centre et à droite)

M. MERCIER -

Cette législature arrive à son terme : même si le gouvernement manque d'ambition décentralisatrice, la situation particulière de la Corse mérite un traitement particulier. Cette spécificité, fondée sur l'insularité, ne justifie pas une dérogation à la loi commune.

Les réponses institutionnelles du Gouvernement ont leurs limites : c'est la 5ème réforme en 25 ans ! Il n'y a pas de solution miracle au problème corse... la paix civile ne pourra résulter que du développement. Aujourd'hui, cette région ne compte que 260.000 habitants, son économie est insuffisante ; le PIB est inférieur d'un quart au PIB moyen français ; plus de 21 % des emplois sont des emplois publics, contre 10 % dans l'ensemble de la France. Tant qu'il n'y aura pas d'effort économique majeur en faveur de la Corse, les réformes institutionnelles ne serviront à rien.

Le groupe de l'UC approuve les propositions du rapporteur, qu'il s'agisse des adaptations de la loi littoral ou de la fiscalité. Le problème institutionnel ne doit pas occulter l'essentiel : les problèmes démographique et économique ; c'est là que doivent porter tous nos efforts (Applaudissements au centre et à droite).

M. LE PENSEC -

Ce projet de loi prévoit, à l'article premier, la possibilité de dispositions spécifiques à la Corse. Certains y voient un sacrilège, une atteinte à l'unité de la République. Le pouvoir réglementaire ? Les collectivités locales l'exercent sans le savoir, comme M. Jourdain faisait de la prose.

M. GRUILLOT -

Faux !

M. LE PENSEC -

La majorité sénatoriale serait-elle hostile à l'extension des compétences locales ? (Rires et applaudissements sur les bancs socialistes). J'attends que l'on m'explique comment on peut souhaiter plus de décentralisation en refusant tout pouvoir réglementaire aux collectivités locales...

Si le point 1 ne vous pose pas de problème, le point 2 de l'article premier semble vous remplir d'effroi ; le point 3, lui, provoque votre indignation ; pourtant, le Conseil constitutionnel a accepté les expérimentations des établissements publics... Le monde évolue : le Conseil constitutionnel doit évoluer aussi... (Exclamations au centre et à droite).

M. HYEST -

Ce serait la fin des haricots.

M. LE PENSEC -

Prévoir des expérimentations, serait-ce mettre la patrie en danger ? (Exclamations à droite). Outre-mer, la loi est adaptée, que je sache.

M. HYEST -

On ne peut pas comparer !

M. LE PENSEC -

C'est le cas à Nouméa (Exclamations à droite)...

M. le PRÉSIDENT -

Laissons l'orateur s'exprimer : le long débat qui nous attend permettra l'échange des arguments (Très bien ! à gauche).

M. LE PENSEC -

... comme à Saint-Pierre-et-Miquelon.

Qui oserait soutenir que la Corse n'est pas dans une situation particulière depuis des siècles, qu'il s'agisse d'économie ou de géographie ? Certains préfèrent l'exclusion à la reconnaissance des différences : c'est une conception jacobine qui n'est pas la mienne. Regardons en Europe : la Sardaigne est aujourd'hui apaisée et se développe.

On ne peut à la fois crier à l'irresponsabilité des Corses et refuser d'accroître les responsabilités. On ne peut crier « décentralisation, décentralisation, décentralisation » et refuser d'accroître les pouvoirs d'une collectivité ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

L'égalité n'est pas l'uniformité ; l'autonomie du Pays de Galles ou de l'Ecosse a-t-elle provoqué l'éclatement du Royaume-Uni ? On a voulu voir dans l'article 12 la remise en cause de la loi « littoral ». J'ai contribué à préserver des kilomètres de côtes en Corse, en tant que président du Conservatoire du littoral ; 90 communes du littoral -sur un total de 360- sont soumises aux lois « montagne » et « littoral ». De plus, sur les mille kilomètres du littoral corse, deux cents, soit 21 %, appartiennent au Conservatoire du littoral ; le dispositif interdit tout aménagement au coup par coup et impose une vision d'ensemble ; et les contrôles ne manqueront pas !

Le rapporteur a exploré une piste novatrice, mais limitée. Plus généralement, le plan d'aménagement et de développement durable et les adaptations de la loi « littoral » ne pourront remettre en cause la législation en vigueur. Certes, le projet de loi est modifiable, mais je préfère des règles exigeantes, mais applicables, à des règles inappliquées.

Je tiens à redire combien l'effroi de certains me frappe : rien, dans ce projet de loi, ne menace l'unité de la République. Ce texte est bon pour la Corse : admettre cette singularité, c'est reconnaître que son organisation territoriale ne relève pas de la géométrie... (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jacques BLANC -

Je veux rassurer M. Le Pensec : mes amis n'ont aucune crainte ! J'ai voté ce texte à l'Assemblée, pour apporter des réponses positives au problème corse. Ce soir, monsieur le ministre, vous avez une chance formidable : ne la gâchez pas !

Le Sénat a ouvert le chemin pour sortir des dangers de l'anticonstitutionnalité et répondre aux attentes de ceux qui espèrent des avancées de la décentralisation. Nos amis des départements en sont parfois irrités mais les compétences accrues accordées aux régions permettent aux départements d'exercer pleinement leurs responsabilités !

Il n'y a pas, à mon avis, d'opposition inconciliable entre la position de l'Assemblée nationale et celle du Sénat. Le rapporteur a proposé des « lois déclinables » : l'idée est très intéressante ! En ce qui concerne la langue, le libellé du Sénat devrait satisfaire tout le monde ; l'enracinement, c'est aussi la possibilité de s'ouvrir sur le grand large.

La formulation proposée par le Sénat est bonne, ou alors, on nous a trompés... (Rires à droite)

Si ce qu'on fait pour la Corse est bon, il faut le faire pour toutes les régions. Je suis peut-être naïf mais j'espère que le débat au Sénat représente un moment exceptionnel. Quant aux prisons, ce n'est pas la meilleure façon de répondre aux attentes des Français !

J'espère, donc, que ce débat vous permettra de sortir de l'impasse, de satisfaire les populations et de réaliser une nouvelle avancée de la décentralisation ; puissiez-vous, monsieur le ministre, m'entendre et oeuvrer en faveur de la Corse française ! (Applaudissements au centre et à droite)

M. COURTOIS -

Avant tout, je remercie le président et le rapporteur de notre commission spéciale, qui ont su éviter l'écueil d'un débat manichéen et poser les bonnes questions.

La faute préalable du Gouvernement a été de nous enfermer dans une dialectique trompeuse et des solutions fallacieuses. Tous, nous nous sommes enfermés dans une dichotomie désastreuse : hors des deux camps, celui des jacobins et des girondins, point de salut ! Le Gouvernement, en se trompant de question, nous a floués en laissant le débat dériver vers le domaine institutionnel. Au lieu de jouer à quatre mains avec les nationalistes, le Gouvernement aurait dû répondre aux véritables questions des Corses : comment, par exemple, trouver du travail ?

L'autre erreur a consisté à poser l'arrêt des violences comme préalable de la discussion parlementaire. Or, les nationalistes jouent la carte du pire... Une commission d'enquête sénatoriale créée il y a deux ans avait présenté dix-sept propositions de bon sens qui n'imposaient pas de réforme constitutionnelle, mais le Gouvernement ne les a pas mises en oeuvre. Depuis le début de l'année, dix-sept assassinats ont été perpétrés. Les dérives maffieuses se poursuivent. Des membres de la majorité plurielle ont fini par parler d'indépendance. Le vocabulaire a évolué : les terroristes sont devenus des prisonniers politiques. Les nationalistes ont compris qu'ils pourraient faire plier le Gouvernement. Quant au rapatriement des détenus, il a encore favorisé les nationalistes. Vous couvrez le Premier ministre, monsieur le ministre. A moins que M. Schrameck y soit pour quelque chose...

M. DREYFUS-SCHMIDT -

C'est spontané.

M. COURTOIS -

Nous avons été tentés de balayer ce texte d'un revers de main car les mesures préconisées par le Gouvernement sont pour l'essentiel contraires à la Constitution. Je remercie le Président et le rapporteur de la commission spéciale qui veulent légiférer en raison de la spécificité corse et non sous la menace de la violence.

M. DREYFUS-SCHMIDT -

Il fallait le faire quand vous étiez au Gouvernement !

M. COURTOIS -

Que ceux qui ont déposé la question préalable sachent qu'il faut sortir de la logique fallacieuse du Gouvernement. Une loi pour la Corse est nécessaire, car elle permet d'engager le débat. Mon groupe est satisfait des propositions de la commission spéciale. En les votant, nous serons entendus par les Corses. Nous n'avons pas cédé à la facilité à l'article premier : nous ne craignons pas la sanction du Conseil constitutionnel.

Je suis favorable à l'enseignement des langues régionales, mais je pense comme le rapporteur que cet enseignement du corse doit rester facultatif. A l'article 12, nous approuvons le dispositif proposé par la commission spéciale : le développement touristique de l'île doit être possible, mais les velléités de mainmise des groupes maffieux doivent être maîtrisées. Les propositions fiscales de la commission spéciale permettront de mettre le développement économique au coeur du dispositif.

Avec le groupe du RPR, je me réjouis de l'examen de ce texte que nous offre une tribune pour dire qu'il n'y a pas de fatalité corse : la question séparatiste peut ne plus se poser si l'on réalise les réformes indispensables. (Applaudissements sur les bancs RPR)

M. VIRAPOULLÉ -

Ma première intervention au Sénat porte sur la Corse : je m'intéresse à la France et à ses îles où la majorité de la population doit se battre pour rester française et préserver ses droits dans la République. (Applaudissements à droite) C'est pour en porter témoignage que je suis monté à la tribune.

Les départementaux français ont fait le choix de l'unité de la République : c'est vrai outre-mer. Les adaptations votées par le Parlement français ne peuvent être extrapolées à la Corse. L'égalité n'existe plus dans les départements d'outre-mer ; il ne reste qu'une mince barrière de corail constitutionnel autour de la Polynésie française. Et la Nouvelle-Calédonie se prépare à l'indépendance.

A Matignon, tous les partenaires ne regardaient pas dans la même direction : les nationalistes louchaient vers l'indépendance, d'autres croyaient en la République. Un tel train déraille à coup sûr au premier virage. Depuis 25 ans, on légifère de façon exceptionnelle pour la Corse alors qu'il aurait fallu faire un cadre général pour l'adapter à la Corse. (Applaudissements au centre et à droite. M. le Rapporteur applaudit aussi)

Le processus va échouer, je vous le dis, car ou bien le texte n'est pas conforme à la Constitution ou bien il n'est pas applicable : il faudra un an et demi d'habilitation et les indépendantistes continueront de creuser le fossé.

Voilà pourquoi les mesures d'exception pour la Corse - régionalisation, offices qui ont rendu opaque la gestion des deniers publics - ont constitué des erreurs. L'unité dans la République et l'adaptation par le Parlement constituent la seule voie raisonnable sauf à démanteler la République et affaiblir la France (Applaudissements au centre et à droite).

Le processus n'apporte pas de garantie ni pour la Corse, ni pour un résultat satisfaisant. Les maires des plus grandes villes de Corse sont opposés au processus de Matignon (Protestations sur les bancs socialistes). Ce texte est contagieux. Une délégation guyanaise s'est présentée à Paris. La Guadeloupe et la Martinique se préparent. Il faut, comme M. Raffarin le propose, partir du cadre général d'une nouvelle loi de décentralisation et l'adapter tranquillement. Il n'y a pas le feu ! (Même mouvement). Les indépendantistes sont déjà sortis du processus ! Les amendements de la commission spéciale répondent au bon sens. Je place mes espoirs dans une autre démarche fondée sur une décentralisation et une déconcentration équilibrées. Nous avons, surtout loin de Paris, besoin d'un Etat fort pour développer nos régions éloignées (Applaudissements au centre et à droite).

M. MAUROY

(Applaudissements sur les bancs socialistes) - J'ai souhaité intervenir pour, d'une part, soutenir le processus engagé depuis deux ans par Lionel Jospin et, d'autre part, souligner l'impact de ce texte sur la décentralisation.

L'accord politique est la seule voie pour sortir de l'impasse. La démarche a été transparente. L'accord est ambitieux et démocratique. Certains nationalistes se dégagent du processus, mais le sens de la partie n'est pas modifié.

Les discours qu'on peut entendre au Sénat ne tiennent pas compte des réalités. On n'a vu arriver ni la décolonisation, ni l'Algérie...

M. de ROHAN -

C'était Guy Mollet.

M. MAUROY -

Je me suis juré ne plus me laisser prendre au piège.

M. CHÉRIOUX -

Heureusement qu'il y avait le général de Gaulle !

M. MAUROY -

Les efforts des gouvernements successifs n'ont pas porté les fruits attendus. Les gestes d'autorité et la négociation secrète des gouvernements de droite n'ont pas été couronnés de succès. (Applaudissements sur les bancs socialistes) La logique imposait le choix du dialogue et de la réforme. L'amnistie n'a jamais été à l'ordre du jour. On conteste ici, sur certains bancs, la possibilité d'adapter les normes législatives et réglementaires aux spécificités de l'île. Mais la République s'est accommodée de l'Alsace-Moselle, de l'outre-mer... et de la Ville de Paris. Les ordonnances permettent d'« expérimenter » -le mot est bien porté à droite !- sous réserve de ratification ultérieure par le Parlement. La révision constitutionnelle n'interviendrait qu'en 2004.

Un fossé s'était creusé entre la Corse et le continent en matière économique, fiscale et successorale. Les particularités résulteront d'un équilibre entre positions au départ fort éloignées. Il faut accepter le caractère global de la situation proposée par le Gouvernement.

Le mérite de ce texte est de donner toutes ses chances à une Corse citoyenne. C'est un pays pauvre, mal équipé, qui est moins évolué que les autres régions. La décentralisation lui donnera des avantages nouveaux. Ce texte apporte une promesse pour la Corse de paix civile et de développement. Ce sera une tâche difficile que ce Gouvernement aura eu le mérite d'entamer.

C'est la France entière qui est concernée. Notre pays doit conserver son unité et rester centralisé, mais la centralisation a été trop loin et a duré trop longtemps : les étrangers le savent et le disent. Rien ne s'oppose à une France encore plus décentralisée. Le choc, en 1981, entre la gauche et la droite a été frontal, mais la gauche l'a emporté : la droite est désormais favorable à la décentralisation. Tant mieux ! (Rires sur les bancs socialistes) Les nouveaux décentralisateurs, si nombreux aujourd'hui..., devraient voter le texte du Gouvernement. (Applaudissements sur les mêmes bancs)

Vous avez repris, monsieur le ministre, de nombreuses propositions de la commission que j'ai présidée, sur la décentralisation. Vous y avez adjoint des modalités spécifiques à la Corse et un projet de loi sur la démocratie de proximité. Le Sénat en sera-t-il saisi en janvier 2002 ?

Le Gouvernement Jospin souhaite faire adopter une grande loi, comme celle de 1982-1983, sur la décentralisation. Ce sera un des thèmes forts des prochaines échéances électorales. On ne peut être favorable à la décentralisation et rester distant vis-à-vis du présent projet. La contradiction est chez vous. Les Français le verront.

Ce texte, que le groupe socialiste approuve, permet de montrer le visage institutionnel que le Gouvernement veut donner à la France. (Applaudissements sur les bancs socialistes).

M. Gérard LARCHER -

(Applaudissements à droite) J'ai été choqué par les propos de M. Mauroy sur l'Algérie. Ces propos augurent mal de votre volonté commune de garder la Corse au sein de la République.

Le texte remet en cause des notions fondamentales comme l'égalité ou l'empire de la loi. Le projet préparé touche au fondement même de la République. Nous aurions compris un cadre global, approfondissant la centralisation et la concentration. La question corse n'a pu être résolue depuis vingt-cinq ans. L'assentiment présumé de l'assemblée de Corse ne constitue pas un blanc-seing au Gouvernement : le processus est ambigu depuis l'origine. Améliorer le texte, c'est le chemin que propose la commission spéciale, entre pusillanimité et activisme. Les Corses veulent une réforme de fond, globale.

Le texte s'inscrit dans la logique d'un processus qui se sera étendu de 1999 à 2004 et qui est une logique d'échec. Le Gouvernement est coutumier du fait, certaines dispositions du texte restent contraires à la Constitution. Vous attendez sans le dire la censure du Conseil constitutionnel pour tenter de réviser la Constitution et de déconsidérer les juges. Pourquoi ne pas élaborer d'emblée un texte conforme à la Constitution ?

Le postulat d'un apaisement de la situation en Corse par un statut est erroné. Des balles sont encore tirées chaque jour. Les organisations maffieuses prospèrent. Un attentat reste un attentat, qu'il soit commis par la pègre ou par des exaltés. Affairisme, nationalisme et banditisme ne peuvent être démêlés.

S'agissant des langues régionales, des dissensions se font jour à gauche, comme on l'a vu avec les recours introduits contre les écoles Diwan. Nous ne ferons pas l'économie d'un débat en adoptant des mesures à la sauvette. M. Chirac avait raison de refuser la révision de la Constitution sur ce point. La République s'est faite en écartant les parlers régionaux avec comme objectif l'universalité des valeurs partagées. Pour certains à gauche, la laïcité historique ne serait plus adaptée. Il faudra, là encore, en débattre. La décentralisation ne peut renforcer la communautarisation. Pour M. Glavany, la solution ne viendra pas d'un nouveau statut !

En mars 2000, il eût été concevable de trouver en Corse une majorité qui repose sur les partis. Pourquoi le Gouvernement a-t-il donné la parole aux indépendantistes ? Il faut libérer les esprits en Corse comme sur le continent, par des mesures pratiques, non par des gesticulations institutionnelles.

C'est le problème du développement économique qui est primordial. Les étudiants ne trouvent pas de travail ; les Corses se sentent délaissés, comme à l'arrivée des rapatriés. Il faut doter l'île d'infrastructures.

S'agissant de la loi « littoral », le rapport de Paul Girod montre comment concilier liberté et protection de l'environnement.

Le rattrapage portera enfin sur les modalités de sortie de la zone franche. Nul ne conteste plus ses effets positifs. Qu'en sera-t-il du programme exceptionnel d'investissement ? Nous ne disposons pas d'échéancier alors qu'on parle ailleurs des rendez-vous de 2004 ! La Corse a besoin de chiffres plus que de lettres.

Notre responsabilité serait grande si nous enfoncions un coin dans l'unité de la République. Suivons notre commission spéciale en attendant un grand débat. A l'heure de la mondialisation, nous devons savoir que nous formons un peuple uni autour de la République (Applaudissements à droite).

M. RICHERT -

Je me bornerai à deux remarques. Deux siècles après la Révolution, rompre avec l'uniformisme jacobin est-ce aller vers l'éclatement de la République ? Non, si on décentralise clairement, si on permet à l'Etat d'assumer ses missions régaliennes et si on commence par une expérimentation. La France n'est pas en danger lorsqu'on tient compte des attentes et des besoins avérés des uns et des autres. Il y a quelques semaines, on a fait changer la loi sur la PSD pour des différences de 100 francs d'un département à l'autre. Les attitudes changent.

L'Alsace-Moselle a été souvent évoquée, mais les modifications à la loi locale sont apportées par le Parlement !

Le problème vient aujourd'hui de ce qu'on a mis la charrue avant les boeufs ; Il faut d'abord mettre en route une décentralisation générale. Nous attendrons un vrai débat. L'Alsace aussi présente des spécificités ! Elle mérite aussi d'être reconnue !

Hélas, le Gouvernement donne le sentiment de céder à la violence. C'est cela qui est gênant !

La commission et son président ont proposé des évolutions qui font confiance aux Corses, avec des ajustements qui vont loin en ce qui concerne la langue régionale. En Alsace, je parle l'alsacien ; mes enfants le parlent aussi.

M. DREYFUS-SCHMIDT -

A l'école !

M. RICHERT -

A l'école avec l'aide des collectivités locales, mais d'abord en famille. Aujourd'hui, tous les jeunes qui le veulent peuvent apprendre cette langue, sans que rien ne soit imposé. Autres mesures de bon sens : sur le littoral et le développement.

Réécrit par le Sénat, ce projet deviendra un document de référence, sur lequel nous devrions pouvoir nous retrouver. (Applaudissements au centre et à droite)

La discussion générale est close.

M. le MINISTRE -

Ce riche débat me laisse perplexe. Qu'il me soit permis de remercier ceux qui ont soutenu ce projet, MM. Bel, Le Pensec, Mauroy, Bret et ceux qui ont fait preuve de mesure, MM. Mercier et Hoeffel. Merci aussi au président de la commission spéciale et à son rapporteur qui se sont efforcés de présenter des solutions.

Mais certaines interventions m'ont laissé perplexe. Premier paradoxe : nous ferions trop pour la Corse, mais pas assez pour les régions, trop pour les nationalistes qui n'ont jamais été au coeur de notre démarche.

L'indépendance n'est pas à l'ordre du jour. Où serait la pente inéluctable ? Le vrai danger serait l'immobilisme, car la lassitude gagne nos concitoyens ; gare au rejet ! Il appartient au Gouvernement de tracer une perspective. Naguère, on a essayé de négocier avec les factions...

M. DREYFUS-SCHMIDT -

Les cagoulards !

M. le MINISTRE -

...sans succès, au risque de ridiculiser la République. L'application de la loi ? La loi est appliquée en Corse autant qu'ailleurs, mais encore faut-il qu'elle soit adaptée. (Rires et exclamations au centre et à droite)

Ce projet a été élaboré dans le dialogue avec les seuls élus, et non avec ceux qui, jadis, ont été considérés comme des interlocuteurs légitimes. Fallait-il écarter les élus nationalistes ? Ils ont tous les huit approuvé le « relevé de conclusions » de Matignon. Ils étaient plus nombreux à Tralanca ! Les autres élus qui soutiennent le processus sont plus proches de la majorité sénatoriale...

On cite les propos d'un nationaliste décédé et aujourd'hui disparu...

M. de ROHAN -

Disparu comment ?

M. le MINISTRE -

Je ne l'ai pas rencontré ni fait venir place Beauvau par une porte dérobée ; je préfère rappeler les Corses qui ont sacrifié leur vie pour la France : à chacun ses références.

Certains orateurs ont cédé à la tentation de la caricature ; et d'autres ont réclamé pour leur région ce qui serait mauvais pour la Corse. Mais quelle que soit la décentralisation, je sais bien que la Corse aura toujours un statut spécifique.

Certains en appellent à une consultation des Corses, à un référendum, ce qui serait contraire à la Constitution.

VOIX A DROITE -

Qui a parlé de référendum ?

M. le MINISTRE -

La dissolution de l'assemblée de Corse serait illégale en l'absence de blocage. L'échéance de 2004 s'explique par là. Le Gouvernement s'est prononcé clairement et c'est le seul à l'avoir fait : il propose d'encadrer la délégation de pouvoirs réglementaires. Le conseil des sites ? Sa composition sera fixée par un décret en Conseil d'Etat.

Les secteurs éligibles au crédit d'impôt ? Ils ont été définis par les élus corses.

Les entreprises du BTP vont connaître un taux d'activité élevé grâce à un plan d'investissement établi en concertation. Le Sénat manifeste de l'intérêt pour les entrepreneurs. Mais j'ai été surpris du peu de confiance manifesté par lui envers les élus corses comme M. Rossi et M. Baggioni, qui ne sont pas mes amis politiques, le maire de Bastia et le maire d'Ajaccio, Simon Renucci. (Exclamations à droite)

La décentralisation ? Elle viendra et une nouvelle étape a été franchie avec la démocratie de proximité.

M. Gérard LARCHER -

Bof !

M. le MINISTRE -

Le prochain texte viendra en discussion en janvier et nous ferons des propositions ambitieuses. Mais sur la Corse, pourquoi attendre ?

Ce projet se fonde sur la responsabilisation des élus de Corse qui, dans leur majorité, notamment à droite, ont pris leurs responsabilités. Je l'ai encore vu le 26 octobre sur place. Les députés et le Gouvernement, eux aussi, ont pris leurs responsabilités ; au Sénat de prendre les siennes, devant les Corses et l'ensemble des Français, sur un sujet difficile pour tout le monde. (Applaudissements sur les bancs socialistes)