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CORSE
M. le
PRÉSIDENT -
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de
loi, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif
à la Corse.
DISCUSSION
GÉNÉRALE
M. VAILLANT,
ministre de l'intérieur -
(Applaudissements sur les bancs socialistes) La question corse
n'est pas simple, car elle se pose depuis vingt-cinq ans à tout
Gouvernement, et cette histoire a été marquée par bien des drames, dont
l'assassinat du préfet Erignac. Le Gouvernement a la détermination de
déférer tous les auteurs de cet acte à la justice et je salue la mémoire de
ce haut fonctionnaire.
M. le PRÉSIDENT -
Je demande
au Sénat tout entier d'observer une minute de silence à sa mémoire. (Mmes
et MM. les sénateurs se lèvent et observent une minute de silence)
M. le MINISTRE -
Il importe donc d'offrir à la Corse
une perspective démocratique. L'indépendance ne saurait être la solution ni
pour le Gouvernement ni pour la majorité des Corses qui veulent rester
français. Leurs sacrifices passés et leur contribution au rayonnement de la
France en portent témoignage.
Mais s'en tenir aux mots et aux
incantations ne suffit pas. Il faut un projet concret et vivant, par essence
démocratique, car respectueux de la volonté de la majorité. Seule l'élection
et le libre débat peuvent faire prévaloir une conception.
Restera
aux Corses de faire leur part du chemin, à condition que chacun évite la
caricature et l'amalgame et ne fasse pas de la Corse, selon l'expression de
Jean-Louis Andréani, « le bouc émissaire de la République ». Or,
des paroles excessives et même injurieuses ont été tenues, qui ont blessé
les Corses et les républicains sincères.
Les Corses ont le sentiment
que l'île est l'objet de polémiques politiciennes : nous en avons eu un
exemple récent. Qui conteste la nécessité d'un centre de détention
spécifique ? (Exclamations à droite) Mais les vieux réflexes
sont réapparus puisque d'aucuns ont déformé les propos que j'ai tenus.
Pourtant, ceux-là mêmes qui me critiquent ont engagé jadis des négociations
occultes avec les clandestins (Applaudissements sur les bancs
socialistes. Exclamations à droite) et ne servent pas la République.
Face à la question corse, certains n'ont vu qu'un problème d'ordre
public ; d'autres ont voulu relancer le développement, comme la loi du
31 mai 1991 de M. Joxe.
M. CECCALDI-RAYNAUD -
Pour quels résultats ?
M. le MINISTRE -
D'autres ont cru pactiser avec certains groupes, en privilégiant la
« négociation » par rapport au « dialogue » : la
prégnance des mots témoigne de la nostalgie d'une époque !
Une
exploitation politicienne est toujours possible. Il faut donc poursuivre
sans déroger aux principes. Nous avons dialogué avec tous les élus mais eux
seuls : ne plaçons pas les nationalistes au centre du jeu. Nous avons
dialogué dans la transparence, sur un projet qui reconnaît les spécificités
de toute nature de la Corse, en s'inspirant des principes républicains. La
loi s'applique sans acharnement ni faiblesse, et les résultats devraient
convaincre même les sceptiques. Je salue le travail des fonctionnaires,
victimes de violences inadmissibles et agressés, car agissant sans
complaisance. Les services sont mobilisés, les inspections ont été
multipliées. Les attentats et les homicides sont en diminution.
(« Oh » à droite) L'amnésie n'est pas une vertu !
Qui pourrait croire que la violence cesserait du jour au
lendemain ! Les enquêtes abouties établissent que la plupart des
homicides relèvent du banditisme.
VOIX A DROITE -
C'est la même chose !
M. le MINISTRE -
Aujourd'hui les services ont retrouvé une cohésion qui leur a fait
défaut, et la justice passe, en toute indépendance.
La violence
marque-t-elle l'échec du processus ? Ce dernier trace une perspective,
et l'interrompre serait renoncer au débat politique et céder à la violence.
Ce rappel s'imposait, car le Gouvernement, dans une situation
difficile, doit fixer un cap. Un chemin a été parcouru, et il faut aller au
terme. Les élus de Corse et les Corses partagent ce sentiment.
M.
CECCALCI-RAYNAUD -
Vous les avez consultés ?
M.
le MINISTRE -
Je respecte la Constitution, monsieur
Ceccaldi-Raynaud ! (Rires et exclamations à droite) Le 22 mai
2001, l'Assemblée nationale a adopté ce projet de loi, dans le respect des
engagements du Gouvernement et avec le souci de la sécurité juridique. Le
Sénat s'en est saisi et a envoyé une mission en Corse. La commission
spéciale a voulu mener un travail constructif et le Gouvernement est prêt à
améliorer ce texte sans qu'il soit dénaturé. Déroger à nos principes
offrirait un prétexte à la violence.
Tenir compte de la spécificité
de l'île, clarifier sa gestion, favoriser son développement, tels étaient
les principes de relevé de conclusions. Le principe de précaution juridique
ne saurait nous dissuader de mettre en oeuvre les dispositions de ce relevé,
mais en recherchant le consensus. Certaines de nos propositions font débat,
au regard de la Constitution et du Conseil d'Etat. Sont-elles dangereuses
pour la République ? Elles s'inscrivent dans un statut déjà reconnu et
dans des perspectives de décentralisation autrement plus audacieuses.
L'unité de la République n'est pas uniformité, et la place du Parlement
n'est nullement remise en cause.
L'article premier conforte les
compétences de l'Assemblée de Corse dans l'adaptation des normes
réglementaires et législatives. Le Parlement se prononcera au cas par cas
dans le domaine réglementaire -dans le respect de l'article 72 de la
Constitution-. Nous nous inspirons ici de l'article L 4-24-20. S'agissant
des dispositions législatives, le projet de loi définit seulement une
procédure d'expérimentation autorisée par le Parlement et sous son contrôle,
comme l'a voulu le Conseil constitutionnel.
Le projet -articles 4 à
29- clarifie les compétences de la collectivité pour conforter le statut en
clarifiant les responsabilités. Un territoire de 260.000 habitants doit
avoir des structures simples ! Nous voulons faciliter l'exercice de la
démocratie.
La langue corse ?
M. CECCALDI-RAYNAUD
-
Il n'y en a pas.
M. le MINISTRE -
Nous
offrirons un enseignement général de cette langue sans le rendre
obligatoire. Thème consensuel mais à forte signification symbolique. Il est
temps de reconnaître la place de cette langue.
L'article 12 relatif
à la loi littorale organise un développement équilibré. Mais le Gouvernement
est disposé à conforter le consensus, dans le respect de l'esprit du texte
qui vise à responsabiliser les élus. Il s'agit de concilier environnement et
développement.
Le volet fiscal, avec des aménagements, vise là aussi
à stimuler le développement. Le Gouvernement déposera un amendement visant à
créer un crédit d'impôt à taux différencié pour favoriser un nouvel élan
économique.
Pour les successions, nous devons sortir d'une situation
vieille de deux siècles. Le texte propose une solution. Pour le reste, le
texte veut contribuer au développement économique. Mais il forme un
tout : il reconnaît l'identité culturelle de la Corse dans la
République, dans un esprit de responsabilité. Il vise à accroître la
vitalité de la démocratie de l'île en se donnant pour seuls interlocuteurs
les élus du suffrage universel.
Ainsi nous confortons le lieu
historique, culturel et affectif qui fait de la Corse une si belle partie de
la France (Applaudissements sur les bancs socialistes ; Mme Luc
applaudit également).
M. Paul GIROD,
rapporteur de la commission spéciale (rapport 49)
-
Nous
avons affection et admiration pour cette île, et compassion et solidarité
pour ses habitants.
Monsieur le ministre, vous avez cru bon de
commencer votre intervention sur un ton polémique (Exclamations à
gauche). D'autres vous répondront sur le même ton... La commission a
accompli un travail approfondi, malgré les contraintes de l'urgence. Comment
oeuvrer ainsi dans la précipitation ? (Très bien à droite).
La mission du Sénat en Corse a commencé par le dépôt d'une gerbe
en hommage au préfet Erignac -et je remercie M. le Président du Sénat
d'avoir pris l'initiative de faire observer une minute de silence à la
mémoire de ce haut fonctionnaire assassiné dans l'exercice de ses fonctions-
et s'est achevée par une rencontre avec l'Association des femmes contre la
violence. Nous souhaitons tous unanimement arriver à ce que la question de
l'appartenance de la Corse à la République française ne se pose plus.
Mais, sur l'île, nous avons pris la mesure des problèmes, perçu des
opinions variées et senti le désespoir de la population victime depuis si
longtemps de violences répétées -qu'elles soient politiques ou de droit
commun- et sans vrai développement.
Les élites sont parties souvent
pour rendre sur le continent des signalés services à la République, et il
demeure difficile d'entreprendre en Corse même si une nouvelle génération
aspire à engager un développement économique qui serait le vrai facteur de
progrès.
La Corse -cette montagne dans la mer- c'est la France, ce
n'est pas la Beauce. Elle a sa culture et son histoire ; sa spécificité
ne tient pas seulement à la violence.
Ce texte peut-il arrimer
vraiment la Corse à la République ? Il demeure fragile au regard de la
Constitution ; il intervient à un moment particulier du processus de
Matignon, en établissant de façon insidieuse la tutelle d'une collectivité
sur les départements et communes de l'Île, ce qui est contraire à la
Constitution dans sa rédaction actuelle.
Selon vous, le contrôle du
législateur rend possible l'expérimentation constitutionnelle. En fait, il
n'y a aucun transfert de compétence législative dans l'île ; nous
sommes en novembre 2001 ; le calendrier ne laisse aucune place
pour une loi d'expérimentation avant -au mieux !- l'automne 2002. Il
est impossible que cela débouche sur une réforme constitutionnelle en
2004 !
Quant au pouvoir réglementaire, il ne se découpe
pas ; se référer à l'article 21 de la Constitution ressemble à une
pirouette.
En ce qui concerne la composition de la Commission des
sites, comment justifier une telle dérogation au droit commun ? Et je
ne parle pas de l'article 45 bis, sur lequel le Conseil
constitutionnel s'est déjà prononcé.
Pourquoi ne pas explorer la
voie de lois propres à chaque région ? A l'article premier, nous avons
tenté de rendre le dialogue entre l'Etat et la Corse plus
opérationnel ; nous proposons également de reconstruire les offices sur
des bases saines.
J'en arrive à la culture corse. Personne ne nie
qu'elle existe et se développe... si l'Etat continue de jouer son rôle.
La langue peut être conçue comme un instrument de repli ou
d'ouverture. Par essence, c'est une langue romane qui peut permettre de
rompre l'isolement insulaire en facilitant l'apprentissage de l'espagnol et
de l'italien.
M. SIGNÉ -
C'est compliqué !
M. le RAPPORTEUR -
Mais il faut préciser que
l'enseignement de la langue régionale doit être facultatif : on ne peut
s'en remettre au Conseil constitutionnel ! (« Très bien »
à droite)
Curieusement, nous avons découvert que le CAPES de
Corse était fermé sur lui-même : nous avons décidé de le remettre dans
le droit commun.
J'en viens au fameux article 12-1 relatif à la loi
littorale. Qui ne peut souscrire à l'élaboration d'un plan de développement
durable ? Mais comment accepter que la délégation permettant de déroger
à la loi littorale soit sans contrôle et sans limitation de durée ?
Nous avons cherché une solution en nous inspirant du droit forestier :
la piste mérite d'être considérée car elle est à la fois pratique et
d'application immédiate.
Restent plusieurs compétences transférées,
et que la commission spéciale a acceptées : culture, transport,
patrimoine, tourisme, environnement, agriculture, assainissement ;
impossible de dire que nous traînons les pieds ! Il faut que l'île se
développe ; c'est indéniable. Le Gouvernement a proposé des crédits
d'impôt : nous y souscrivons, même si nous avons été surpris
d'apprendre que vous annonciez la mesure avant toute décision du
Parlement... Pourquoi exclure du plan d'investissement le BTP ? Les
entreprises doivent pouvoir s'y préparer !
J'en viens au fameux
arrêté Miot ; il faut sortir prudemment du système qui protégeaient le
patrimoine, mais poussait à la prolifération des indivisions.
En ce
moment, nos compatriotes corses nous écoutent. Nous devons rester à la
hauteur de l'attente de 260.000 de nos concitoyens qui souffrent.
Evitons tout blocage pour leur redonner espoir. (Applaudissements au
centre et à droite)
M. Jacques LARCHÉ, Président de la commission
spéciale -
Le
« processus de Matignon » est engagé depuis presque deux ans.
Votre commission spéciale a fait en sorte que son examen par le Sénat ne
soit pas retardé. Tous les commissaires ont regretté que le calendrier ne
permette pas à tous les sénateurs de prendre connaissance de l'excellent
rapport...
M. DREYFUS-SCHMIDT -
C'est toujours le cas
!
M. le PRÉSIDENT de la COMMISSION -
... de M. Paul
Girod qui s'est fondé sur les travaux de la délégation et sur les auditions
de la commission.
Au cours de notre mission en Corse, nous avons
ressenti avec fierté la considération portée au Sénat et l'attente de nos
compatriotes, déçus par l'Assemblée nationale. De nos rencontres,
fructueuses mais rapides, j'ai tiré plusieurs enseignements. D'abord, la
certitude que nous devions examiner ce texte ; ensuite, un profond
sentiment de sympathie envers les Corses, affectueuse sympathie, certes,
mais qui n'exclut pas la franchise ; enfin, que nous devions engager
une réflexion sur notre propre destin.
Nous n'avons pas voulu,
malgré les événements de l'été, retarder l'examen de ce texte : nous
avons reçu l'approbation des plus hautes autorités de l'Etat. Certains
étaient tentés par un refus immédiat ; mais après le drame d'Aléria, le
problème corse demeure et s'est même aggravé...
La tentative du
Gouvernement diffère des précédentes. Toutes ont plus ou moins échoué ;
le Président de la République a fermement rappelé qu'aucune réforme ne
saurait justifier l'abandon de nos principes et la mise en cause de l'unité
de la République. Depuis 25 ans, les responsabilités sont partagées.
M. SIGNÉ -
Le bel aveu !
M. le
PRÉSIDENT de la COMMISSION -
Dans la perspective d'un nouveau
statut, nous devons réaffirmer notre solidarité à nos compatriotes
insulaires et dire aux Corses, Français et républicains, que nous avons
compris qu'ils avaient été meurtris par certains propos. Faut-il rappeler
tout ce que nous devons aux Corses ? Faut-il rappeler les listes
interminables des morts sur les monuments des villages, le serment de
Bastia, la résistance à Vichy dès les premiers jours ?
Nous
devons dire la vérité aux Corses. Ce projet apporte des réponses appropriées
sur de nombreux points sous réserve de certains aménagements. Dans le
domaine économique, par exemple, il ne suffira pas d'injecter de nouveaux
crédits ! Mais ce qui était proposé pour l'organisation
institutionnelle de l'île n'est pas, aujourd'hui, juridiquement possible.
Cette construction, imaginée au dernier moment, s'il faut en croire
un livre récent (Sourires au centre et à droite), a fait naître des
espoirs infondés. Ce qui n'est pas possible aujourd'hui, le sera-t-il
demain ? Ce que nous devons refuser aujourd'hui, même à regret, nous
devons, demain, le rendre possible. L'Etat a fait la France ; ce qu'il
a fait est solide. Maintenant, il doit passer à la confiance. Notre pays
doit prendre conscience de ses diversités ; la Nation a besoin d'une
respiration nouvelle.
Il faut commencer à envisager de nouvelles
règles : nouvelles lois permettant plus de souplesse, extension d'un
pouvoir réglementaire normatif... C'est alors que la Corse pourrait alors
être française, républicaine et légitimement, cette fois, différente
(Applaudissements au centre et à droite).
M.
DREYFUS-SCHMIDT -
Le temps, c'est du sang !
M. RAFFARIN
-
Les
circonstances doivent chasser tout esprit de polémique. Ce dossier nous
porte à réfléchir ; selon le père Bandelier « entre abattre les
tours de Manhattan et abattre le préfet Erignac, il y a une différence
mathématique, il n'y a pas de différence éthique ».
En
l'occurrence, les intentions ont été gâchées par la gouvernance, cette
gouvernance qui vous a conduit à placer les nationalistes au coeur du
processus. Progressivement, les républicains corses ont été marginalisés.
Grave erreur !
Pourtant, des propositions existent, mais seule
celles des nationalistes ont été retenues. Aujourd'hui, le développement de
la Corse est pris en otage par un débat qui n'a pas lieu d'être. La région
n'est qu'un échelon de la République (Applaudissements à droite) et
la France est bien plus que la somme des régions !
Nous
demandons simplement que les différences puissent exister dans la République
une et indivisible. En fait, avec votre article premier, vous donnez à la
décentralisation des ailes tellement grandes que vous l'empêchez de marcher,
comme l'albatros de Baudelaire !
Aujourd'hui, vous êtes dans
l'impasse comme le disait le Président de Rohan, ce matin dans un grand
quotidien. Vous cherchez l'accord pour l'accord ; (Applaudissements
à droite) nous voulons, nous, que vous sortiez de l'ambiguïté.
Ce que nous vous proposons -mais cela méritera une réforme
constitutionnelle- c'est de suivre une autre démarche : celle de la
délégation républicaine.
Mme LUC -
Que n'avez-vous
fait tout cela quand vous étiez au pouvoir ?
M. RAFFARIN
-
Nous tirerons les leçons de vos échecs. (Applaudissements à
droite).
M. MAUROY -
Des vôtres !
M. RAFFARIN -
Je ne veux pas polémiquer...
Mme LUC -
C'est sûr !
M. RAFFARIN
-
... Surtout devant M. Mauroy, qui a initié la
décentralisation.
M. DREYFUS-SCHMIDT -
Vous étiez
contre !
M. RAFFARIN -
La responsabilité, ce n'est
pas l'abandon, mais un Etat qui s'affirme. (Applaudissements à
droite)
Présidence de M. Jean-Claude GAUDIN,
Vice-Président
M.
VALLET -
Alors
que les nationalistes voient peu à peu toutes leurs demandes exaucées, y
compris le regroupement des terroristes incarcérés, (M. le ministre
manifeste son désaccord.) la violence se poursuit : toujours plus
pour condamner l'ordre républicain ! Comment pouvons-nous négocier avec
ceux qui veulent ouvertement conduire la Corse à l'indépendance ?
Comment ne pas constater que le dialogue républicain que vous avez
sincèrement voulu a complètement échoué ? Ils sont une poignée sur
l'île à vouloir créer un paradis fiscal et à asseoir une autorité qu'ils ont
du mal à légitimer sur le suffrage universel. (« Très
bien ! » à droite)
M. LORIDANT-
C'est
vrai.
M. VALLET -
Cette loi n'est, pour tous les
excités de l'île, qu'une étape : M. Talamoni veut l'indépendance
avant 2006 ! Seuls les nationalistes, en 1999, réclamaient un nouveau
statut. Selon un ancien premier ministre, « si les Corses veulent
l'indépendance, qu'ils la prennent ». Mais ils n'en veulent pas pour au
moins 80 % d'entre eux ! Ils veulent qu'on accepte leur
spécificité mais, plus que tout, que l'ordre règne sur l'île. Les Corses ne
veulent plus être les marginaux de la République. Pourquoi une singularité
corse et pas savoyarde ou picarde ? Comment refuser aux autres régions
ce que vous accordez à la Corse ?
Ce texte répond à une
inacceptable logique d'exception, alors que l'exigence de démocratie de
proximité s'affirme sur tout le territoire.
L'Etat doit rechercher
ce qui rassemble et non ce qui divise : avez-vous réfléchi aux
risques ?
L'ancien enseignant que je suis est heurté par les
dispositions relatives à la langue corse. La langue officielle de la France
ne peut être le corse ou le provençal ! Je refuse un texte qui donne
satisfaction à l'inouïe revendication des nationalistes : réserver les
emplois publics aux Corses ! Et quelle discipline sera sacrifiée ?
Le français ? Qu'en pense M. Lang ?
En présentant ce
texte, vous cédez au chantage des indépendantistes, reniant toutes les
promesses de M. Jospin qui, en 1999, déclarait qu'un nouveau statut était
inutile et que l'apprentissage de la langue corse n'était pas acceptable.
Il est encore temps, monsieur le ministre : renoncez au projet,
ne donnez pas une prime à la violence, ne donnez pas l'impression que
10 % d'excités -même armés- comptent plus que 90 % de la
population corse, exigez une véritable volonté de paix. Il est encore temps
de ne pas accepter ce qui peut éloigner la Corse de la France.
La
plupart des membres du RDSE rejoignent les conclusions du rapporteur.
(Applaudissements au centre et à droite)
M. de ROHAN
-
(Applaudissements à droite) Sur ce débat plane l'ombre
tragique d'un préfet lâchement assassiné, mon condisciple et mon ami :
j'affirme ma fidélité à sa mémoire et ma volonté de voir ses assassins
condamnés. (Applaudissements à droite)
Qui ne souhaite une
paix durable en Corse ? Nos concitoyens ont bien gagné le droit à la
sécurité et à la tranquillité. Mais la paix peut-elle être fondée sur
l'abaissement de l'Etat ? Meurtres et exactions, nous dit-on, ne
relèvent plus du terrorisme politique, mais du terrorisme mafieux. Mais un
procureur général affirme ne pouvoir séparer le banditisme mafieux de
l'autre : l'un et l'autre se confondent en formant une « zone
grise ». La révolution culturelle et politique nécessaire n'a pas été
accomplie, le culte du voyou a été renforcé, le clan se porte bien, ont
déclaré deux nationalistes qui ont été assassinés à un an de distance. M.
Talamoni, loin de répudier la violence, n'a cessé de réclamer l'amnistie
pour les criminels de sang : les petits meurtres entre amis continuent.
Le processus de Matignon n'est pour les nationalistes qu'une étape sur la
voie de l'indépendance.
Le parallèle avec Nouméa ? Talamoni
n'est pas Tjibaou. En Nouvelle-Calédonie, les protagonistes recherchaient
sincèrement un accord. Pourquoi discuter de l'avenir avec des
violents ? Pourquoi l'instauration de l'Etat de droit ne constitue-t-il
pas une condition essentielle ?
Le Gouvernement a pris le
risque de l'inconstitutionnalité, malgré la décision du Conseil
constitutionnel de 1991 et l'avis défavorable du Conseil d'Etat. Le
Gouvernement a passé outre les réserves du Président de la République... A
bon droit, la commission spéciale s'est opposée à la toute-puissance de
l'assemblée corse. Reste que le texte voté par les députés donne le pouvoir
législatif et réglementaire à une collectivité locale. Le projet est, en
l'état, inconstitutionnel. Le Gouvernement donne droit aux plus
radicaux : voilà où mène la recherche d'un compromis à tout prix.
Il existe des spécificités et une identité corse, qui peut le
nier ? mais bien d'autres régions souhaitent obtenir de telles
compétences ! Il faut inscrire les réformes destinées à la Corse dans
un processus d'ensemble (Applaudissements sur les bancs RPR). On
pourra débattre d'un nouveau partage des pouvoirs, d'un éventuel état
fédéral : il ne faut pas opérer une révision camouflée de notre
Constitution.
Le Breton que je suis comprend l'importance de la
langue corse. Les langues régionales n'ont pas toujours été soutenues. Leur
disparition porterait atteinte au patrimoine de nos régions. Toutefois, la
langue corse ne doit pas être une arme contre la République et la langue
française ou servir de prétexte à la corsisation des emplois. Proposez
l'enseignement de cette langue, ne l'imposez pas. Nous voterons la
réécriture sans ambiguïté des dispositions relatives à la langue corse.
Nous souscrivons aux mesures économiques et fiscales, sous réserve
de contrôles car il faut aider nos compatriotes à rattraper leurs retards.
Quant à la loi littoral, que je sais imparfaite, les propositions de la
commission sont raisonnables. Des groupes financiers, dont certains
disposent de fonds d'origine douteuse, ne doivent pas bétonner des côtes
d'une grande beauté : une urbanisation respectueuse de l'environnement
est possible, la loi littoral restant un utile garde-fou.
Il faut
continuer à rechercher des solutions durables, les effectifs nécessaires
étant attribués à la police et à la gendarmerie. Il faut donc rompre avec la
culture des armes...
M. BOULAUD -
Des cagoules !
M. de ROHAN -
Tant que la loi ne sera pas respectée,
la Corse vivra dans l'inquiétude. Nul clan, nulle formation ne doit
s'arroger le monopole de l'expression politique... Les élections
législatives de 2002 donneront l'occasion de choisir entre évolution et
indépendance. (Applaudissements à droite)
M. ESTIER -
Ce n'est pas le choix !
M. de ROHAN -
Les Corses doivent pouvoir améliorer leurs infrastructures et
développer leur économie. La mise hors la loi des trafiquants prouvera leur
volonté d'évoluer de manière appropriée.
Concitoyens corses, vous
avez donné à la France un de ses fils les plus illustres et beaucoup de
morts ; la France vous a, pour sa part, beaucoup apporté, c'est un
nouveau contrat qu'il faut élaborer au sein de la République. Rejetez les
forcenés et les criminels !
Aux Métropolitains...
M.
BOULAUD -
Les Continentaux !
M. de ROHAN -
... je dis : « sachez que les Corses vivent parfois moins
bien que vous ! »
Au Gouvernement, je dis qu'il est
comptable de l'indivisibilité de la République, nous le lui rappellerons
chaque fois qu'il le faudra. (Applaudissements à droite)
M.
HOEFFEL -
Notre
devoir de législateur est de parvenir à une analyse dépassionnée de ce
problème corse, surtout lorsqu'on ne connaît pas -comme moi- tous les
éléments de la situation. Nous devons cependant nous prononcer. Mon groupe
considère que la Corse et les Corses méritent estime, respect et solidarité,
car ils ont beaucoup donné à la République. Mes contacts avec la Corse et
les Corses me conduisent à une appréciation positive.
La spécificité
corse ? J'y ai été confronté au ministère de l'aménagement du
territoire. L'insularité impose des solutions originales, mais la
Méditerranée n'est pas le Pacifique !
Il ne faut pas dissocier
un statut de la réalité ambiante. Ce retour à l'ordre doit être amorcé et
les décisions de justice appliquées. Je m'associe, à ce propos, à l'hommage
rendu au préfet Erignac lâchement assassiné. Le respect de l'autorité de
l'Etat demeure une exigence prioritaire, et pas seulement en Corse.
Notre groupe est globalement favorable aux conclusions de la
commission spéciale. Je me bornerai à quatre questions essentielles.
D'abord, le pouvoir d'adaptation législatif et réglementaire :
l'article premier pose, à l'évidence, des problèmes constitutionnels. Nous
approuvons la prise en compte des spécificités de la Corse. La substitution
de la collectivité territoriale de Corse aux offices, elle, devrait
améliorer la cohésion de l'action économique.
La langue corse,
ensuite. Je comprends l'aspiration à une langue régionale, qui ne menace pas
l'unité de la République et j'approuve la déclaration, à ce propos, du
Président Giscard d'Estaing. Il n'est, en revanche, pas souhaitable de
rendre l'enseignement du corse obligatoire pour tous. Il faudra en outre
trouver les enseignants !
M. CECCALDI-RAYNAUD -
Comment ont-il fait jusqu'à présent ?
M. HOEFFEL
-
Rappelons-le, une langue régionale vivante est d'abord transmise
par les familles. (Applaudissements à droite)
J'en viens à
l'environnement corse. Le régime du plan d'aménagement et de développement
durable doit être clarifié. En matière d'urbanisme, il faut appliquer le
droit ! Qu'on ne laisse pas faire ceux qui veulent se substituer au
droit comme à Sperone.
Enfin, le développement économique :
nous approuvons le dispositif financier et fiscal du projet tel qu'il est
amélioré par la commission spéciale. Encore faut-il que les moyens soient
employés à bon escient.
L'ensemble du dispositif doit être replacé
dans la perspective plus générale de réflexion sur l'avenir de la
décentralisation en France. La Sardaigne, les Baléares dont on cite le
développement en exemple ? Les Etats concernés connaissent une
décentralisation plus avancée que la nôtre ! (« Très
bien » à droite) L'Etat centralisé n'a pu assumer ses missions de
sécurité et de justice en Corse. Et ailleurs ? Un transfert de
compétences doit être étudié pour que l'Etat se recentre sur ses missions
essentielles.
Les accords de Matignon évoquent pour 2004 une
simplification des niveaux de collectivités territoriales. Une
expérimentation peut être utile, mais pourquoi la faire d'abord ici plutôt
que là ? Nos institutions ne sont probablement plus adaptées et l'Etat
central s'adapte mal. Des voix s'élèvent, à droite comme à gauche, pour
juger l'uniformité dépassée : la France est le pays européen qui
résiste le plus à l'évolution. La Corse est un des révélateurs des
pesanteurs actuelles de l'Etat unitaire. Je ne critique pas le Gouvernement
d'avoir recherché des solutions à sa manière. Au-delà, il faudra mettre en
chantier rapidement une nouvelle étape de décentralisation qui adaptera nos
institutions à notre temps. (Applaudissements au centre et à droite)
M. BRET
-
Le
Parlement se penche encore sur la question corse et les sénateurs
communistes se réjouissent de ce débat. Le processus de Matignon a permis en
effet de placer les élus corses au centre du débat pour s'attaquer à la
violence et au retard de développement économique. Il faut combattre ceux
qui tentent de déstabiliser la société corse. La violence ? Les Corses
en ont assez. On ne parle presque plus, et je le regrette, des courageuses
femmes corses qui s'y sont opposées. Et les assassins du préfet Erignac ne
sont pas tous arrêtés. Il est temps de faire fructifier les potentiels de
l'île, malgré l'insularité et le relief. C'est à une réelle solidarité que
tout projet efficace doit s'attacher. Or les priorités sont inversées avec
le texte : le débat porte sur les institutions et le rattrapage
économique et social n'est plus évoqué, sauf par les communistes. Ceux-ci
refuseront toujours de livrer une composante de la France aux appétits
financiers et maffieux. La précarité des saisonniers montre la fragilité des
statistiques économiques corses. La part des emplois industriels est faible.
La Corse se situe au quinzième rang de nos régions pour le revenu... Et la
solidarité nationale aide à vivre.
C'est la participation de la
Corse au PIB -0,3 % !- qui montre l'étendue du problème. Seul
l'investissement productif permettra à l'île d'évoluer avec la création
d'infrastructures. Il faut 3 h 30 pour faire Bastia-Ajaccio en train, plus
que pour Paris-Marseille par TGV. La question des transports est importante
puisque 5 millions de voyageurs et des centaines de milliers de voitures
sont transportés dans l'île. La desserte des ports corses est satisfaisante
et l'ouverture du trafic aux compagnies étrangères justifie nos réserves.
L'article 36 pourrait favoriser des ponctions de crédits en faveur des
chambres de commerce : on risque de porter atteinte au service public
maritime. Je me réjouis à cet égard de la décision récente prise par la
juridiction administrative en faveur du service public maritime.
M. le RAPPORTEUR de la COMMISSION SPECIALE -
Vous
évoquez les conclusions du commissaire du Gouvernement : la décision
sera rendue ce soir.
M. BRET -
Concernant les crédits
d'impôt, l'expérience a montré que les exonérations fiscales ne créaient pas
à elles seules que des emplois stables. La dispersion et le gaspillage de
fonds doivent être évités. Les sénateurs communistes sont opposés au
développement de ces aides proposé par la commission spéciale.
Ce
développement ne sera pas obtenu sans production insulaire propre. L'article
46 n'est pas satisfaisant. Le tourisme n'est pas la panacée : la Côte
d'Azur ne s'en contente pas. Notre collègue Laffitte le sait bien qui a créé
Sophia-Antipolis ! Tourisme et environnement relèvent de la République.
Il faut adapter nos institutions pour que ceux qui vivent en Corse oeuvrent
avec efficacité au développement de l'île. Nous sommes favorables à une
réforme des institutions, mais ni le texte des députés ni celui de la
commission spéciale ne nous satisfait : la décentralisation doit
permettre le transfert du pouvoir des mains des uns aux mains de tous, sur
tout le territoire de la République.
Où est la place du peuple
corse ?
La proportionnelle ne doit-elle pas être instaurée
partout ? Pourquoi ne pas associer les habitants ? Pourquoi ne pas
étendre les procédures de consultation ? Ah ! que n'a-t-on repris
la proposition de loi communiste.
Nous sommes tous réservés sur
l'article premier : nous en proposerons la suppression car, selon nous,
seul le Parlement vote la loi. Nous nous interrogeons dans une moindre
mesure sur le transfert du pouvoir réglementaire : songez au droit de
grève des marins corses ! L'article 26 de la loi de 1991 permettait
déjà d'aller loin. Pourquoi n'a-t-il pas été vraiment mis en oeuvre ?
Les Corses ne veulent pas de l'indépendance, mais les nationalistes
se retirent du processus en cours : or la situation prévue pour 2004 ne
sera possible que si la violence disparaît. Vous avez semblé varier dans vos
déclarations, Monsieur le ministre (M. le ministre le nie). Mais
si !
Le Parlement ne veut pas se laisser piéger. Les sénateurs
communistes refusent de jouer avec la Corse.
Je reviendrai sur
l'article 7 relatif à la langue corse -l'enseignement du corse ne doit pas
être obligatoire-. Un équilibre doit être trouvé entre protection du
littoral et urbanisation et sur l'inquiétude des fonctionnaires de l'Etat
exerçant leurs activités en Corse.
Il est grand temps d'éclairer le
débat car le processus de Matignon est en crise. La majorité sénatoriale
refuse toute idée de transfert de pouvoir politique, tout en acceptant la
désagrégation de l'Etat. La poussée fédéraliste est grande. Les sénateurs
communistes refusent que la Corse devienne un laboratoire. En 1991, nous
avons soutenu la reconnaissance du peuple corse, dans le cadre de la France.
Souvenons-nous de ceux qui, sous l'occupation fasciste, ont su mourir en
Français et en corse (Applaudissements sur les bancs communistes et à
droite).
M. BEL
-
(Applaudissements sur les bancs socialistes). Nous savons
qu'il faut placer la discussion au bon niveau car il s'agit de répondre à la
souffrance de ceux qui depuis près de trente ans ne connaissent que la peur,
les larmes et la désespérance. Quelle réponse leur apporterons-nous ?
Monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur,
souvenez-vous de l'émotion qui nous a saisis en septembre. Nous avons
rencontré les acteurs de terrain dans l'île, et notamment les femmes corses
qui se sont exprimées avec passion.
Jean-Louis Andréani a refusé à
juste titre que la Corse soit le bouc émissaire de nos rancoeurs.
Finissons-en avec les caricatures et les préjugés. Réfléchissons à des
solutions concrètes, dans une situation historique. Où est la solution
alternative à ce projet ? (Applaudissements sur les bancs
socialistes) Le silence est assourdissant et le projet de loi amendé par
le Sénat serait vidé de son sens et désamorcerait la dynamique.
Les
Corses ont suffisamment montré leur attachement à la France pour qu'on cesse
de leur demander de le prouver. M. Baggioni a raison de parler
d'humiliation à ce sujet. Mais les cartes jusqu'ici mentaient : la
Corse -cette montagne dans la mer- est à 200 kilomètres du continent et
jouxte la Sardaigne. L'insularité est une réalité, avec ses conséquences
psychologiques, dont la tentation du repli sur soi.
Après moi, deux
voix autorisées s'exprimeront, M. Mauroy et M. Le Pensec. Le rappel des
principes ne suffit pas : il faut trouver des moyens clairs de les
appliquer. L'article premier soulève l'opposition du Sénat, car il accorde
plus de prérogatives et plus de responsabilités.
M.
MARINI -
C'est contraire à la Constitution.
M.
BEL -
La majorité sénatoriale, minorité nationale, ...
M. MARINI -
Plus pour longtemps !
M. BOULAUD -
Ne vendez pas la peau de
l'ours !
M. BRAYE -
Plus de hauteur !
M. BEL -
... refuse ce projet, alors que
M. Méhaignerie, à l'Assemblée nationale, a déposé une proposition
allant dans le même sens.
La Constitution autorise pourtant des
innovations. De plus, que propose la droite ? M. Jacques Chirac
lui-même, dans son discours de Rennes, est allé dans le sens suggéré par le
projet.
La langue corse ? Offrir l'enseignement de cet élément
du patrimoine répond à la demande des familles, qui veulent que les enfants
apprennent la langue de la République, mais aussi la langue de leur milieu
culturel le plus proche. Ou bien la langue corse est reconnue et promue et
sera un gage d'évolution, ou bien elle est ignorée ce qui accentuera le
déséquilibre culturel et, avec lui, le fonds de commerce de certains
extrémistes. Une différence linguistique -le corse ici, le breton ou
l'alsacien là- met-elle en péril la citoyenneté ? La République
est-elle si fragile qu'elle soit menacée par un enseignement dispensé dans
ses écoles ?
La Corse n'est pas la Beauce, comme l'a rappelé le
rapporteur : assumons nos différences, sans crainte.
La Corse
est une île dans la République, et les Corses, -Français- veulent être
reconnus.
La Cour de Strasbourg a encadré par avance cette
évolution, qui devrait favoriser un véritable « vivre-ensemble ».
M. Le Pensec évoquera l'article 12 relatif à la loi littoral :
le problème ici -celui du développement et de la protection de
l'environnement- est plus large, et le risque de bétonnage de la Corse
semble écarté. Encore faut-il impulser un nouveau développement -grâce à des
équipements structurants- et en finir avec le serpent de mer de la fiscalité
des successions.
Nous avons une responsabilité à assumer devant
l'histoire, car nous devons faire vivre -sans le figer- notre idéal
républicain. Le groupe socialiste s'opposera à l'exception d'irrecevabilité,
reflet d'une vision frileuse, voire glacifiée, car l'adopter serait faire le
lit de ceux qui prônent la violence. Disons oui à une République qui sait
évoluer et sait répondre au voeu consensuel des élus.
La droite qui
s'est opposée à la décentralisation et à la loi Joxe l'a regretté par la
suite. Travaillez avec nous pour la République !
M. SIGNÉ
-
La chute est belle.
M. BALARELLO
-
Une
partie du territoire français est la proie d'une poussée indépendantiste et
le problème est là sérieux, comme l'expliquait notre ancien collègue
Caillavet : ce pays est pauvre en hommes, en ressources, avec son
pastoralisme rudimentaire, et cette pauvreté provoque l'exaspération des
jeunes, séduits parfois par des terroristes minoritaires.
La Corse,
devenue française en 1764 - avant Nice et la Savoie - est fière de ses
grands hommes : un empereur, mais aussi combien d'hommes politiques, de
grands commis de la République ou d'avocats, à commencer par Moro-Giafferi
qui parlait de « La Corse continentale qu'on appelle la France ».
Dois-je rappeler notre empire colonial qui a tant offert aux jeunes
Corses, et nos guerres ? Si nous pouvions poser la question aux Corses,
le refus de l'indépendance serait clair. Mais l'article 11 de la
Constitution nous en empêche. En tout cas, il appartiendra à l'Etat
d'organiser une élection transparente à l'Assemblée de Corse et chacun sera
mis alors devant ses responsabilités. La violence devra alors être
sanctionnée avec rigueur.
La Corse a besoin d'un statut
spécial : l'Europe a donné l'exemple de la subsidiarité et cela
fonctionne de la Catalogne au Tyrol, n'en déplaise à nos préjugés jacobins,
si partagés. Mais la paix civile est à ce prix.
La commission nous
propose un toilettage remarquable du projet de loi qui nous vient de
l'Assemblée et dont le titre II rencontre déjà notre approbation, même si le
personnel des offices supprimés doit être rassuré.
Le titre III
comporte des mesures fiscales et sociales qui vont dans le bon sens et sont
conformes aux voeux de l'Assemblée de Corse. Le régime des successions qui
date de l'arrêté Miot du 21 prairial an IX a eu des effets pervers, avec les
multiples indivisions, et va être modernisé grâce à la commission spéciale.
J'approuve aussi la modernisation des infrastructures car le PIB de
la Corse doit se relever rapidement.
Reste le titre Ier : le
Parlement est tenu en lisière par la décision du Conseil constitutionnel du
9 mai 1991 et l'amendement de la commission sur l'enseignement du corse
rencontre mon approbation. Cet enseignement doit être encouragé, à l'heure
de la mondialisation, mais le libre choix des parents - continentaux ou
étrangers - doit être préservé. En fait, ne suffit-il pas d'accroître
l'attraction des langues régionales au bac en renforçant leur
coefficient ? (Très bien ! à droite). Toutes les communes
de Corse sont soumises soit à la loi « littoral », soit à la loi
« montagne » et certaines aux deux ; de ce fait, elles voient
leur expansion entravée.
Cela dit, le littoral corse -si magnifique-
attire la convoitise de spéculateurs et d'affairistes, et je soutiens le
texte de notre commission qui n'autorise que des constructions bien
encadrées et dans le respect de l'action du Conservatoire du littoral. Un
tiers des 1.047 kilomètres de littoral corse est déjà protégé !
Je voterai le projet de loi amendé, qui consacre une évolution
comparable à celle de certaines régions européennes. M. Rossi et M. Baggioni
ont fait preuve de courage en plaidant pour l'autonomie et elle seule. Comme
disait un grand Corse, « la haute politique est le bon sens appliqué
aux grandes choses ». (« Très bien ! » à droite)
La séance
est suspendue à 19 h 35 pour reprendre à 21 h
30.
Présidence de M. Daniel HOEFFEL,
Vice-Président
La
séance reprend à 21 h 30.
M. NATALI
-
« J'ai quelque pressentiment que cette petite île étonnera le
monde » écrivait Rousseau dans le Contrat social...
Le
coeur du problème corse est simple et tient en un mot : développement.
Point n'est besoin d'être grand clerc pour le comprendre ! Dans leur
immense majorité, les Corses veulent vivre dans la paix républicaine. C'est
ce qui a conduit la commission spéciale à déposer des amendements judicieux
et porteurs d'espoir.
En ce qui concerne l'enseignement de la langue
corse, de grands progrès restent à accomplir ; les moyens nécessaires
doivent être mis en place.
En matière d'aménagement, il faut
concilier protection et développement ; pour cela, faisons confiance à
la responsabilité des élus et agissons avec mesure ; entre la
sanctuarisation et l'urbanisation, il y a des solutions acceptables pour
tous. Le tourisme est notre seule industrie : il faut en tenir
compte ; c'est pourquoi je me désolidarise complètement du dispositif
envisagé par M. Paul Girod à l'article 12 ; son texte me semble
inapplicable. (Rires au centre)
Autre sujet sensible :
les ports et les aéroports. Le transfert des biens de l'Etat à la région
doit s'effectuer en toute clarté.
Je me félicite enfin des
propositions fiscales du rapporteur, pour les entreprises comme pour les
particuliers.
Finalement, le doute coexiste avec l'espoir, puisque
l'essentiel, l'ancrage de la Corse à la République, est préservé.
(Applaudissements au centre et à droite)
M. MERCIER
-
Cette
législature arrive à son terme : même si le gouvernement manque
d'ambition décentralisatrice, la situation particulière de la Corse mérite
un traitement particulier. Cette spécificité, fondée sur l'insularité, ne
justifie pas une dérogation à la loi commune.
Les réponses
institutionnelles du Gouvernement ont leurs limites : c'est la
5ème réforme en 25 ans ! Il n'y a pas de solution miracle au
problème corse... la paix civile ne pourra résulter que du développement.
Aujourd'hui, cette région ne compte que 260.000 habitants, son économie est
insuffisante ; le PIB est inférieur d'un quart au PIB moyen
français ; plus de 21 % des emplois sont des emplois publics, contre 10
% dans l'ensemble de la France. Tant qu'il n'y aura pas d'effort économique
majeur en faveur de la Corse, les réformes institutionnelles ne serviront à
rien.
Le groupe de l'UC approuve les propositions du rapporteur,
qu'il s'agisse des adaptations de la loi littoral ou de la fiscalité. Le
problème institutionnel ne doit pas occulter l'essentiel : les
problèmes démographique et économique ; c'est là que doivent porter
tous nos efforts (Applaudissements au centre et à droite).
M. LE PENSEC
-
Ce
projet de loi prévoit, à l'article premier, la possibilité de dispositions
spécifiques à la Corse. Certains y voient un sacrilège, une atteinte à
l'unité de la République. Le pouvoir réglementaire ? Les collectivités
locales l'exercent sans le savoir, comme M. Jourdain faisait de la prose.
M. GRUILLOT -
Faux !
M. LE PENSEC
-
La majorité sénatoriale serait-elle hostile à l'extension des
compétences locales ? (Rires et applaudissements sur les bancs
socialistes). J'attends que l'on m'explique comment on peut souhaiter
plus de décentralisation en refusant tout pouvoir réglementaire aux
collectivités locales...
Si le point 1 ne vous pose pas de problème,
le point 2 de l'article premier semble vous remplir d'effroi ; le point
3, lui, provoque votre indignation ; pourtant, le Conseil
constitutionnel a accepté les expérimentations des établissements publics...
Le monde évolue : le Conseil constitutionnel doit évoluer aussi...
(Exclamations au centre et à droite).
M. HYEST -
Ce serait la fin des haricots.
M. LE PENSEC -
Prévoir des expérimentations, serait-ce mettre la patrie en
danger ? (Exclamations à droite). Outre-mer, la loi est adaptée,
que je sache.
M. HYEST -
On ne peut pas
comparer !
M. LE PENSEC -
C'est le cas à Nouméa
(Exclamations à droite)...
M. le PRÉSIDENT -
Laissons l'orateur s'exprimer : le long débat qui nous attend
permettra l'échange des arguments (Très bien ! à gauche).
M. LE PENSEC -
... comme à Saint-Pierre-et-Miquelon.
Qui oserait soutenir que la Corse n'est pas dans une situation
particulière depuis des siècles, qu'il s'agisse d'économie ou de
géographie ? Certains préfèrent l'exclusion à la reconnaissance des
différences : c'est une conception jacobine qui n'est pas la mienne.
Regardons en Europe : la Sardaigne est aujourd'hui apaisée et se
développe.
On ne peut à la fois crier à l'irresponsabilité des
Corses et refuser d'accroître les responsabilités. On ne peut crier
« décentralisation, décentralisation, décentralisation » et
refuser d'accroître les pouvoirs d'une collectivité !
(Applaudissements sur les bancs socialistes)
L'égalité n'est
pas l'uniformité ; l'autonomie du Pays de Galles ou de l'Ecosse
a-t-elle provoqué l'éclatement du Royaume-Uni ? On a voulu voir dans
l'article 12 la remise en cause de la loi « littoral ». J'ai
contribué à préserver des kilomètres de côtes en Corse, en tant que
président du Conservatoire du littoral ; 90 communes du littoral -sur
un total de 360- sont soumises aux lois « montagne » et
« littoral ». De plus, sur les mille kilomètres du littoral corse,
deux cents, soit 21 %, appartiennent au Conservatoire du
littoral ; le dispositif interdit tout aménagement au coup par coup et
impose une vision d'ensemble ; et les contrôles ne manqueront
pas !
Le rapporteur a exploré une piste novatrice, mais
limitée. Plus généralement, le plan d'aménagement et de développement
durable et les adaptations de la loi « littoral » ne pourront
remettre en cause la législation en vigueur. Certes, le projet de loi est
modifiable, mais je préfère des règles exigeantes, mais applicables, à des
règles inappliquées.
Je tiens à redire combien l'effroi de certains
me frappe : rien, dans ce projet de loi, ne menace l'unité de la
République. Ce texte est bon pour la Corse : admettre cette
singularité, c'est reconnaître que son organisation territoriale ne relève
pas de la géométrie... (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Jacques BLANC
-
Je veux
rassurer M. Le Pensec : mes amis n'ont aucune crainte ! J'ai voté
ce texte à l'Assemblée, pour apporter des réponses positives au problème
corse. Ce soir, monsieur le ministre, vous avez une chance formidable :
ne la gâchez pas !
Le Sénat a ouvert le chemin pour sortir des
dangers de l'anticonstitutionnalité et répondre aux attentes de ceux qui
espèrent des avancées de la décentralisation. Nos amis des départements en
sont parfois irrités mais les compétences accrues accordées aux régions
permettent aux départements d'exercer pleinement leurs
responsabilités !
Il n'y a pas, à mon avis, d'opposition
inconciliable entre la position de l'Assemblée nationale et celle du Sénat.
Le rapporteur a proposé des « lois déclinables » : l'idée est
très intéressante ! En ce qui concerne la langue, le libellé du Sénat
devrait satisfaire tout le monde ; l'enracinement, c'est aussi la
possibilité de s'ouvrir sur le grand large.
La formulation proposée
par le Sénat est bonne, ou alors, on nous a trompés... (Rires à
droite)
Si ce qu'on fait pour la Corse est bon, il faut le faire
pour toutes les régions. Je suis peut-être naïf mais j'espère que le débat
au Sénat représente un moment exceptionnel. Quant aux prisons, ce n'est pas
la meilleure façon de répondre aux attentes des Français !
J'espère, donc, que ce débat vous permettra de sortir de l'impasse,
de satisfaire les populations et de réaliser une nouvelle avancée de la
décentralisation ; puissiez-vous, monsieur le ministre, m'entendre et
oeuvrer en faveur de la Corse française ! (Applaudissements au
centre et à droite)
M.
COURTOIS -
Avant
tout, je remercie le président et le rapporteur de notre commission
spéciale, qui ont su éviter l'écueil d'un débat manichéen et poser les
bonnes questions.
La faute préalable du Gouvernement a été de nous
enfermer dans une dialectique trompeuse et des solutions fallacieuses. Tous,
nous nous sommes enfermés dans une dichotomie désastreuse : hors des
deux camps, celui des jacobins et des girondins, point de salut ! Le
Gouvernement, en se trompant de question, nous a floués en laissant le débat
dériver vers le domaine institutionnel. Au lieu de jouer à quatre mains avec
les nationalistes, le Gouvernement aurait dû répondre aux véritables
questions des Corses : comment, par exemple, trouver du travail ?
L'autre erreur a consisté à poser l'arrêt des violences comme
préalable de la discussion parlementaire. Or, les nationalistes jouent la
carte du pire... Une commission d'enquête sénatoriale créée il y a deux ans
avait présenté dix-sept propositions de bon sens qui n'imposaient pas de
réforme constitutionnelle, mais le Gouvernement ne les a pas mises en
oeuvre. Depuis le début de l'année, dix-sept assassinats ont été perpétrés.
Les dérives maffieuses se poursuivent. Des membres de la majorité plurielle
ont fini par parler d'indépendance. Le vocabulaire a évolué : les
terroristes sont devenus des prisonniers politiques. Les nationalistes ont
compris qu'ils pourraient faire plier le Gouvernement. Quant au rapatriement
des détenus, il a encore favorisé les nationalistes. Vous couvrez le Premier
ministre, monsieur le ministre. A moins que M. Schrameck y soit pour
quelque chose...
M. DREYFUS-SCHMIDT -
C'est
spontané.
M. COURTOIS -
Nous avons été tentés de
balayer ce texte d'un revers de main car les mesures préconisées par le
Gouvernement sont pour l'essentiel contraires à la Constitution. Je remercie
le Président et le rapporteur de la commission spéciale qui veulent
légiférer en raison de la spécificité corse et non sous la menace de la
violence.
M. DREYFUS-SCHMIDT -
Il fallait le faire
quand vous étiez au Gouvernement !
M. COURTOIS -
Que ceux qui ont déposé la question préalable sachent qu'il faut
sortir de la logique fallacieuse du Gouvernement. Une loi pour la Corse est
nécessaire, car elle permet d'engager le débat. Mon groupe est satisfait des
propositions de la commission spéciale. En les votant, nous serons entendus
par les Corses. Nous n'avons pas cédé à la facilité à l'article
premier : nous ne craignons pas la sanction du Conseil constitutionnel.
Je suis favorable à l'enseignement des langues régionales, mais je
pense comme le rapporteur que cet enseignement du corse doit rester
facultatif. A l'article 12, nous approuvons le dispositif proposé par la
commission spéciale : le développement touristique de l'île doit être
possible, mais les velléités de mainmise des groupes maffieux doivent être
maîtrisées. Les propositions fiscales de la commission spéciale permettront
de mettre le développement économique au coeur du dispositif.
Avec
le groupe du RPR, je me réjouis de l'examen de ce texte que nous offre une
tribune pour dire qu'il n'y a pas de fatalité corse : la question
séparatiste peut ne plus se poser si l'on réalise les réformes
indispensables. (Applaudissements sur les bancs RPR)
M. VIRAPOULLÉ
-
Ma
première intervention au Sénat porte sur la Corse : je m'intéresse à la
France et à ses îles où la majorité de la population doit se battre pour
rester française et préserver ses droits dans la République.
(Applaudissements à droite) C'est pour en porter témoignage que je
suis monté à la tribune.
Les départementaux français ont fait le
choix de l'unité de la République : c'est vrai outre-mer. Les
adaptations votées par le Parlement français ne peuvent être extrapolées à
la Corse. L'égalité n'existe plus dans les départements d'outre-mer ;
il ne reste qu'une mince barrière de corail constitutionnel autour de la
Polynésie française. Et la Nouvelle-Calédonie se prépare à l'indépendance.
A Matignon, tous les partenaires ne regardaient pas dans la même
direction : les nationalistes louchaient vers l'indépendance, d'autres
croyaient en la République. Un tel train déraille à coup sûr au premier
virage. Depuis 25 ans, on légifère de façon exceptionnelle pour la Corse
alors qu'il aurait fallu faire un cadre général pour l'adapter à la Corse.
(Applaudissements au centre et à droite. M. le Rapporteur applaudit
aussi)
Le processus va échouer, je vous le dis, car ou bien le
texte n'est pas conforme à la Constitution ou bien il n'est pas
applicable : il faudra un an et demi d'habilitation et les
indépendantistes continueront de creuser le fossé.
Voilà pourquoi
les mesures d'exception pour la Corse - régionalisation, offices qui ont
rendu opaque la gestion des deniers publics - ont constitué des erreurs.
L'unité dans la République et l'adaptation par le Parlement constituent la
seule voie raisonnable sauf à démanteler la République et affaiblir la
France (Applaudissements au centre et à droite).
Le processus
n'apporte pas de garantie ni pour la Corse, ni pour un résultat
satisfaisant. Les maires des plus grandes villes de Corse sont opposés au
processus de Matignon (Protestations sur les bancs socialistes). Ce
texte est contagieux. Une délégation guyanaise s'est présentée à Paris. La
Guadeloupe et la Martinique se préparent. Il faut, comme M. Raffarin le
propose, partir du cadre général d'une nouvelle loi de décentralisation et
l'adapter tranquillement. Il n'y a pas le feu ! (Même
mouvement). Les indépendantistes sont déjà sortis du processus !
Les amendements de la commission spéciale répondent au bon sens. Je place
mes espoirs dans une autre démarche fondée sur une décentralisation et une
déconcentration équilibrées. Nous avons, surtout loin de Paris, besoin d'un
Etat fort pour développer nos régions éloignées (Applaudissements au
centre et à droite).
M.
MAUROY
(Applaudissements sur les bancs socialistes) - J'ai
souhaité intervenir pour, d'une part, soutenir le processus engagé
depuis deux ans par Lionel Jospin et, d'autre part, souligner l'impact de ce
texte sur la décentralisation.
L'accord politique est la seule voie
pour sortir de l'impasse. La démarche a été transparente. L'accord est
ambitieux et démocratique. Certains nationalistes se dégagent du processus,
mais le sens de la partie n'est pas modifié.
Les discours qu'on peut
entendre au Sénat ne tiennent pas compte des réalités. On n'a vu arriver ni
la décolonisation, ni l'Algérie...
M. de ROHAN -
C'était Guy Mollet.
M. MAUROY -
Je me suis
juré ne plus me laisser prendre au piège.
M. CHÉRIOUX -
Heureusement qu'il y avait le général de Gaulle !
M.
MAUROY -
Les efforts des gouvernements successifs n'ont pas
porté les fruits attendus. Les gestes d'autorité et la négociation secrète
des gouvernements de droite n'ont pas été couronnés de succès.
(Applaudissements sur les bancs socialistes) La logique imposait le
choix du dialogue et de la réforme. L'amnistie n'a jamais été à l'ordre du
jour. On conteste ici, sur certains bancs, la possibilité d'adapter les
normes législatives et réglementaires aux spécificités de l'île. Mais la
République s'est accommodée de l'Alsace-Moselle, de l'outre-mer... et de la
Ville de Paris. Les ordonnances permettent d'« expérimenter » -le
mot est bien porté à droite !- sous réserve de ratification ultérieure
par le Parlement. La révision constitutionnelle n'interviendrait qu'en 2004.
Un fossé s'était creusé entre la Corse et le continent en matière
économique, fiscale et successorale. Les particularités résulteront d'un
équilibre entre positions au départ fort éloignées. Il faut accepter le
caractère global de la situation proposée par le Gouvernement.
Le
mérite de ce texte est de donner toutes ses chances à une Corse citoyenne.
C'est un pays pauvre, mal équipé, qui est moins évolué que les autres
régions. La décentralisation lui donnera des avantages nouveaux. Ce texte
apporte une promesse pour la Corse de paix civile et de développement. Ce
sera une tâche difficile que ce Gouvernement aura eu le mérite d'entamer.
C'est la France entière qui est concernée. Notre pays doit conserver
son unité et rester centralisé, mais la centralisation a été trop loin et a
duré trop longtemps : les étrangers le savent et le disent. Rien ne
s'oppose à une France encore plus décentralisée. Le choc, en 1981, entre la
gauche et la droite a été frontal, mais la gauche l'a emporté : la
droite est désormais favorable à la décentralisation. Tant mieux !
(Rires sur les bancs socialistes) Les nouveaux décentralisateurs, si
nombreux aujourd'hui..., devraient voter le texte du Gouvernement.
(Applaudissements sur les mêmes bancs)
Vous avez repris,
monsieur le ministre, de nombreuses propositions de la commission que j'ai
présidée, sur la décentralisation. Vous y avez adjoint des modalités
spécifiques à la Corse et un projet de loi sur la démocratie de proximité.
Le Sénat en sera-t-il saisi en janvier 2002 ?
Le Gouvernement
Jospin souhaite faire adopter une grande loi, comme celle de 1982-1983, sur
la décentralisation. Ce sera un des thèmes forts des prochaines échéances
électorales. On ne peut être favorable à la décentralisation et rester
distant vis-à-vis du présent projet. La contradiction est chez vous. Les
Français le verront.
Ce texte, que le groupe socialiste approuve,
permet de montrer le visage institutionnel que le Gouvernement veut donner à
la France. (Applaudissements sur les bancs socialistes).
M. Gérard
LARCHER -
(Applaudissements à droite) J'ai été choqué par les propos de
M. Mauroy sur l'Algérie. Ces propos augurent mal de votre volonté
commune de garder la Corse au sein de la République.
Le texte remet
en cause des notions fondamentales comme l'égalité ou l'empire de la loi. Le
projet préparé touche au fondement même de la République. Nous aurions
compris un cadre global, approfondissant la centralisation et la
concentration. La question corse n'a pu être résolue depuis vingt-cinq ans.
L'assentiment présumé de l'assemblée de Corse ne constitue pas un
blanc-seing au Gouvernement : le processus est ambigu depuis l'origine.
Améliorer le texte, c'est le chemin que propose la commission spéciale,
entre pusillanimité et activisme. Les Corses veulent une réforme de fond,
globale.
Le texte s'inscrit dans la logique d'un processus qui se
sera étendu de 1999 à 2004 et qui est une logique d'échec. Le Gouvernement
est coutumier du fait, certaines dispositions du texte restent contraires à
la Constitution. Vous attendez sans le dire la censure du Conseil
constitutionnel pour tenter de réviser la Constitution et de déconsidérer
les juges. Pourquoi ne pas élaborer d'emblée un texte conforme à la
Constitution ?
Le postulat d'un apaisement de la situation en
Corse par un statut est erroné. Des balles sont encore tirées chaque jour.
Les organisations maffieuses prospèrent. Un attentat reste un attentat,
qu'il soit commis par la pègre ou par des exaltés. Affairisme, nationalisme
et banditisme ne peuvent être démêlés.
S'agissant des langues
régionales, des dissensions se font jour à gauche, comme on l'a vu avec les
recours introduits contre les écoles Diwan. Nous ne ferons pas l'économie
d'un débat en adoptant des mesures à la sauvette. M. Chirac avait
raison de refuser la révision de la Constitution sur ce point. La République
s'est faite en écartant les parlers régionaux avec comme objectif
l'universalité des valeurs partagées. Pour certains à gauche, la laïcité
historique ne serait plus adaptée. Il faudra, là encore, en débattre. La
décentralisation ne peut renforcer la communautarisation. Pour
M. Glavany, la solution ne viendra pas d'un nouveau statut !
En mars 2000, il eût été concevable de trouver en Corse une majorité
qui repose sur les partis. Pourquoi le Gouvernement a-t-il donné la parole
aux indépendantistes ? Il faut libérer les esprits en Corse comme sur
le continent, par des mesures pratiques, non par des gesticulations
institutionnelles.
C'est le problème du développement économique qui
est primordial. Les étudiants ne trouvent pas de travail ; les Corses
se sentent délaissés, comme à l'arrivée des rapatriés. Il faut doter l'île
d'infrastructures.
S'agissant de la loi « littoral », le
rapport de Paul Girod montre comment concilier liberté et protection de
l'environnement.
Le rattrapage portera enfin sur les modalités de
sortie de la zone franche. Nul ne conteste plus ses effets positifs. Qu'en
sera-t-il du programme exceptionnel d'investissement ? Nous ne
disposons pas d'échéancier alors qu'on parle ailleurs des rendez-vous de
2004 ! La Corse a besoin de chiffres plus que de lettres.
Notre
responsabilité serait grande si nous enfoncions un coin dans l'unité de la
République. Suivons notre commission spéciale en attendant un grand débat. A
l'heure de la mondialisation, nous devons savoir que nous formons un peuple
uni autour de la République (Applaudissements à droite).
M. RICHERT
-
Je me
bornerai à deux remarques. Deux siècles après la Révolution, rompre avec
l'uniformisme jacobin est-ce aller vers l'éclatement de la République ?
Non, si on décentralise clairement, si on permet à l'Etat d'assumer ses
missions régaliennes et si on commence par une expérimentation. La France
n'est pas en danger lorsqu'on tient compte des attentes et des besoins
avérés des uns et des autres. Il y a quelques semaines, on a fait changer la
loi sur la PSD pour des différences de 100 francs d'un département à
l'autre. Les attitudes changent.
L'Alsace-Moselle a été souvent
évoquée, mais les modifications à la loi locale sont apportées par le
Parlement !
Le problème vient aujourd'hui de ce qu'on a mis la
charrue avant les boeufs ; Il faut d'abord mettre en route une
décentralisation générale. Nous attendrons un vrai débat. L'Alsace aussi
présente des spécificités ! Elle mérite aussi d'être reconnue !
Hélas, le Gouvernement donne le sentiment de céder à la violence.
C'est cela qui est gênant !
La commission et son président ont
proposé des évolutions qui font confiance aux Corses, avec des ajustements
qui vont loin en ce qui concerne la langue régionale. En Alsace, je parle
l'alsacien ; mes enfants le parlent aussi.
M.
DREYFUS-SCHMIDT -
A l'école !
M. RICHERT -
A l'école avec l'aide des collectivités locales, mais d'abord en
famille. Aujourd'hui, tous les jeunes qui le veulent peuvent apprendre cette
langue, sans que rien ne soit imposé. Autres mesures de bon sens : sur
le littoral et le développement.
Réécrit par le Sénat, ce projet
deviendra un document de référence, sur lequel nous devrions pouvoir nous
retrouver. (Applaudissements au centre et à droite)
La
discussion générale est close.
M. le MINISTRE -
Ce riche débat me laisse perplexe. Qu'il me soit permis de remercier
ceux qui ont soutenu ce projet, MM. Bel, Le Pensec, Mauroy, Bret et ceux qui
ont fait preuve de mesure, MM. Mercier et Hoeffel. Merci aussi au président
de la commission spéciale et à son rapporteur qui se sont efforcés de
présenter des solutions.
Mais certaines interventions m'ont laissé
perplexe. Premier paradoxe : nous ferions trop pour la Corse, mais pas
assez pour les régions, trop pour les nationalistes qui n'ont jamais été au
coeur de notre démarche.
L'indépendance n'est pas à l'ordre du jour.
Où serait la pente inéluctable ? Le vrai danger serait l'immobilisme,
car la lassitude gagne nos concitoyens ; gare au rejet ! Il
appartient au Gouvernement de tracer une perspective. Naguère, on a essayé
de négocier avec les factions...
M. DREYFUS-SCHMIDT -
Les cagoulards !
M. le MINISTRE -
...sans
succès, au risque de ridiculiser la République. L'application de la
loi ? La loi est appliquée en Corse autant qu'ailleurs, mais encore
faut-il qu'elle soit adaptée. (Rires et exclamations au centre et à
droite)
Ce projet a été élaboré dans le dialogue avec les seuls
élus, et non avec ceux qui, jadis, ont été considérés comme des
interlocuteurs légitimes. Fallait-il écarter les élus nationalistes ?
Ils ont tous les huit approuvé le « relevé de conclusions » de
Matignon. Ils étaient plus nombreux à Tralanca ! Les autres élus qui
soutiennent le processus sont plus proches de la majorité sénatoriale...
On cite les propos d'un nationaliste décédé et aujourd'hui
disparu...
M. de ROHAN -
Disparu comment ?
M. le MINISTRE -
Je ne l'ai pas rencontré ni fait
venir place Beauvau par une porte dérobée ; je préfère rappeler les
Corses qui ont sacrifié leur vie pour la France : à chacun ses
références.
Certains orateurs ont cédé à la tentation de la
caricature ; et d'autres ont réclamé pour leur région ce qui serait
mauvais pour la Corse. Mais quelle que soit la décentralisation, je sais
bien que la Corse aura toujours un statut spécifique.
Certains en
appellent à une consultation des Corses, à un référendum, ce qui serait
contraire à la Constitution.
VOIX A DROITE -
Qui
a parlé de référendum ?
M. le MINISTRE -
La
dissolution de l'assemblée de Corse serait illégale en l'absence de blocage.
L'échéance de 2004 s'explique par là. Le Gouvernement s'est prononcé
clairement et c'est le seul à l'avoir fait : il propose d'encadrer la
délégation de pouvoirs réglementaires. Le conseil des sites ? Sa
composition sera fixée par un décret en Conseil d'Etat.
Les secteurs
éligibles au crédit d'impôt ? Ils ont été définis par les élus corses.
Les entreprises du BTP vont connaître un taux d'activité élevé grâce
à un plan d'investissement établi en concertation. Le Sénat manifeste de
l'intérêt pour les entrepreneurs. Mais j'ai été surpris du peu de confiance
manifesté par lui envers les élus corses comme M. Rossi et M. Baggioni,
qui ne sont pas mes amis politiques, le maire de Bastia et le maire
d'Ajaccio, Simon Renucci. (Exclamations à droite)
La
décentralisation ? Elle viendra et une nouvelle étape a été franchie
avec la démocratie de proximité.
M. Gérard LARCHER -
Bof !
M. le MINISTRE -
Le prochain texte
viendra en discussion en janvier et nous ferons des propositions
ambitieuses. Mais sur la Corse, pourquoi attendre ?
Ce projet
se fonde sur la responsabilisation des élus de Corse qui, dans leur
majorité, notamment à droite, ont pris leurs responsabilités. Je l'ai encore
vu le 26 octobre sur place. Les députés et le Gouvernement, eux aussi,
ont pris leurs responsabilités ; au Sénat de prendre les siennes,
devant les Corses et l'ensemble des Français, sur un sujet difficile pour
tout le monde. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
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