M. NORDEE
Dans l'organisation française
on parle de Collectivité, on a des Collectivités territoriales, or, dans la constitution
espagnole on parle de Communautés. Est ce que vous pouvez, plus largement, nous expliquer
les concepts et les notions que cela implique ?
L.SEGURA
La Communauté est un sujet
constitutionnel, cela veut dire que çà n'est pas seulement une administration locale.
Les Communautés ont un pouvoir exécutif, Gouvernement plus administration et, en plus un
pouvoir législatif qui a la même nature que le pouvoir législatif de l'Etat. Les lois
de l'Etat ont la même nature que les lois approuvées par les Parlements régionaux. La
différence est une différence de compétences territoriales et matérielles. La Loi de
l'Etat s'impose à toutes les Communautés et la loi régionale ne peut réguler que dans
les Territoires de la Région et dans les domaines qui sont attribués à la Communauté
par le Statut d'autonomie.
La Collectivité est, je
crois, une administration avec des pouvoirs extrêmement administratifs ; j'ignore si on
peut aller plus loin mais la notion de Collectivité reste, pour moi, une notion
administrative, il n'y a pas d'implications constitutionnelles, dans le sens d'exercer un
pouvoir législatif.
J.L. MORUCCI
Puisque le terme de
Communauté est employé, pouvez-vous nous dire si l'organisation des Communautés, dans
l'Etat espagnol a quelque chose à voir de près ou de loin avec ce que l'on connaît du
communitarisme américain ?
L.SEGURA.
Vous parlez des Etats Unis.
Non ! Le système espagnol est appelé Etat des autonomies, c'est une formule différente
de la formule italienne appelée Etats Régionaux et différente également du
Fédéralisme allemand et aussi du Fédéralisme américain. Cela ne signifie pas que
l'importance des pouvoirs de la Région soit moindre que le pouvoir d'un Land allemand. Le
niveau d'autonomie qu'accorde la Constitution espagnole est comparable avec le pouvoir, la
capacité normative et administrative dont dispose un land allemand. Je connais peu le
système américain, je crois que la différence est dans le domaine de la politique
pénale, policière, les Etats américains ont dans ces domaines plus de compétences.
Mais dans les domaines culturel, environnement, aménagement du Territoire, du tourisme,
du patrimoine historique je pense que le niveau des Communautés espagnoles, en les
comparant, est très important.
UN INTERVENANT.
Vous nous avez parlé de
langue et de protection de votre culture. Comment avez-vous réussi à concilier le poids
du tourisme tel que vous nous l'avez décrit, tel qu'il a permis le développement et
celui de protection de votre langue ? Je précise ma pensée, étant entendu que le
développement touristique implique un échange et qui passe également par la bonne
connaissance des langues étrangères.
L.SEGURA
Il nous faut faire un peu
d'Histoire. Le tourisme se développe essentiellement à partir des années 1970. A cette
époque arrivent des travailleurs d'autres Régions d'Espagne et commence à se perdre la
langue catalane qui était alors usitée surtout en famille ou certaines manifestations
culturelles. Les créateurs, les écrivains réalisent leurs travaux en catalan. C'est
grâce à l'autonomie que la situation de la langue s'est améliorée. Le tourisme a mis
en danger la langue catalane non pas à cause des différentes langues usitées par les
touristes mais pour les travailleurs étrangers et qui parlent plutôt le castillan. Le
tourisme devenait dangereux pour la langue. Je crois que la politique touristique de la
Région avec le pouvoir de décider comment organiser l'installation des Etablissements et
des Services touristiques, comment protéger l'environnement est un facteur positif. Bien
entendu le danger existe toujours d' un développement trop grand, incontrôlé.
J.GISTUCCI
Avec l'exposé qui a été
fait par rapport à ce que l'on a entendu dans la matinée, on peut noter une évolution.
Jusqu'à ce matin on a pensé que la culture était considérée dans son sens
essentiellement intellectuel. Avec cet exposé on passe à une notion beaucoup plus large
: une notion qui inclut l'intellectuel, bien entendu, mais aussi des biens de consommation
culturelle, des notions de civilisation et aussi une série d'objectifs à atteindre qui
la mettent en prospective et qui entraînent une dynamique culturelle. Ce que je voudrais
dire c'est que si l'on ajoute tous ces éléments, la culture cultivée, la culture de
civilisation on arriva à la notion de culture de masse et, bien entendu, il me semble que
c'est quelque chose de bien plus difficile à gérer et je voulais demander quelles sont
les difficultés qui se présentent et comment faites vous pour organiser la symbiose de
ces éléments qui sont quelquefois, en apparence, contradictoires ?
L.SEGURA
Il arrive que les choses
marchent toutes seules spontanément, s'arrangent, s'organisent sans que l'on sache
pourquoi. La politique culturelle du gouvernement des Îles Baléares jusqu'à il y a un
an environ était une politique culturelle avec des doutes, des erreurs, des voies sans
issue et les forces conservatrices ne croyaient pas beaucoup à la langue. Il existait
bien une politique mais pas du tout incisive, très directe. Parallèlement les autres
administrations comme les Conseils insulaires, les municipalités ont une action
culturelle. La politique culturelle est donc l 'addition de toutes ces actions. Il est
vrai que le rôle du Gouvernement est très important mais ce n'est ni l'unique rôle ni
le rôle décisif. Le rôle de la Région est un rôle d'interlocuteur, de
représentation, de collaborer économiquement à la diffusion extérieure de la culture
mais la culture se génère dans les villes, dans chaque île et tous les pouvoirs
administratifs sont très importants. Actuellement je pense que le gouvernement de la
Région commence à valoriser la synthèse de tous ces éléments et d'offrir une
politique culturelle de plus en plus respectueuse de l'environnement, des loisirs, de
l'identité des Baléares comme unité unique. Nous avons en ce moment un débat presque
comparable à celui de la Corse. Il est vrai que nous avons une autonomie politique et
administrative importante. Le débat est ouvert.
G.T.ROCCHI
Est-ce que avec l'accès à
l'autonomie vous avez pu rendre la langue catalane comme langue officielle, enseignée
obligatoirement. Est ce que ceci participe du développement de cette langue puisqu'elle
est enseignée dans vos écoles et enfin est ce que ce système met en danger la présence
du castillan, langue officielle d'Etat ?
L.SEGURA
Après bien des difficultés
une loi spécifique appelée Loi de normalisation linguistique de 1996, établit les
mécanismes administratifs, statutaires pour développer ce système. Mais la langue, à
l'école s'introduit d'une manière effective, efficacement plus tard vers 1997 ; c'est
donc une situation plutôt récente. Cette situation ne met aucunement en danger le
castillan, son usage. La plupart des moyens de communication sociale fonctionnent en
Espagnol. A l'école, l'Espagnol est une langue vivante, les élèves peuvent suivre des
cours de mathématiques en catalan mais parlent espagnol et catalan dans la cour. Beaucoup
de familles sont favorables à l'enseignement en catalan mais parlent espagnol à la
maison. La présence des deux langues alimente encore beaucoup le débat. Nous devons
encore avancer. En Catalogne la situation est un peu différente parce qu'on a constaté
que les élèves achèvent leur scolarité avec des lacunes importantes en langue et
culture espagnoles. Mais çà n'est pas un gros problème, il n'est pas généralisé. On
commence à parler maintenant de coofficialité linguistique. Chez nous aux Baléares nous
n'en sommes qu'au début.
G.G.ALBERTINI
Comme cela existe dans
certaines régions autonomes d'Italie, fait-on obligation, au niveau de la fonction
publique, aux fonctionnaires castillans éventuellement nommés dans les Baléares de
connaître obligatoirement le catalan. Deuxièmement, on associe très souvent aux
Baléares le terme de baléarisation. Qu'en est-il exactement ?
L.SEGURA
L'officialité a des
conséquences juridiques. Une de ces conséquences est que les administrations publiques
du Territoire des Baléares doivent offrir au citoyen la possibilité d'utiliser une des
langues officielles de son choix. Tous les fonctionnaires doivent connaître la langue
catalane dans un niveau normal d'exigence linguistique, à l'exception de la Justice car
c'est un pouvoir de l'Etat. Mais la Région et en train de former l'ensemble de ses
fonctionnaires et il sera fait désormais, à tout fonctionnaire nouveau obligation de
connaître les deux langues et pratiquement à tous les pouvoirs du Territoire.
Baléarisation est un Conseil Urbanistique. Je pense que vous faites référence à un
phénomène qui s'est produit dans les années 60/70 de croissance non contrôlée des
Etablissements, des hôtels, des services touristiques sans planification d'aménagement
du Territoire et qui a donné comme résultat l'existence dans certaines zones qui ont
expérimenté ce processus qu'il faut aujourd'hui réviser, changer. D'ailleurs depuis
trois ou quatre ans, le Gouvernement de la Région a lancé une politique qui consiste à
acheter les vieux bâtiments, hôtels... et faire des jardins, des équipements sociaux et
sportifs... La politique de baléarisation s'est terminée avec l'arrivée de l'autonomie.
Depuis toutes les forces politiques des Îles ont une conscience réelle, effective de la
nécessité d'une croissance ordonnée. Voici une information qui confirmera cette
nouvelle politique : le nombre de lits (tourisme) ne peuvent pas augmenter de plus de 1%
sur le total du parc touristique. On a établi une taxe de croissance annuelle de l'offre
touristique. C'est très important. Les entreprises hôtelières doivent éliminer des
hôtels vieux pour augmenter leur capacité.
Pt CESC
Voyez que les notions
d'autonomie ne recouvrent pas partout les mêmes concepts et ne produisent pas les mêmes
effets. Nous avons peur, chez nous, que l'autonomie ne conduise à la baléarisation alors
qu'aux Baléares c'est grâce à l'autonomie que l'on débaléarise. Nous allons, pour
finir donner la parole à Mlle Marina Casula, et un peu comme hier où l'on terminait la
journée avec l'intervention de Mr M.J. Vinciguerra sur « langue et identité », nous
terminons aujourd'hui avec « Culture et identité ». Mademoiselle Casula.
INTERVENTION DE Mlle Marina
CASULA (Identité et culture : pour une valorisation interactive)
Avant toute chose, je vous
dirais que mon rôle ici n'est pas de vous présenter une monographie, c'est-à-dire de
décrire de manière exhaustive et péremptoire les mécanismes identitaires de la
société dans laquelle vous vivez, mais de vous proposer quelques pistes de réflexion
qui sont les miennes et qui s'inscrivent dans un cadre théorique et scientifique
spécifique qui est celui de la complexité, que je vous présenterai tout à l'heure. Ce
qui va suivre n'a aucune prétention à l'universalisme ou à une quelconque omniscience.
En effet, je considère (avec d'autres!) qu'il n'existe pas une Vérité universelle mais
des réalités subjectives qui se combinant les unes aux autres contribuent à une
meilleure compréhension du monde qui nous entoure. Ma recherche à ce stade est encore
loin d'être achevée, je ne suis donc pas là pour vous proposer des solutions prêtes à
l'emploi. Mon but ici est de participer à un débat entre nous qui nous ramènera à la
tradition de l'agora et qui, je l'espère, nous rappellera la nécessité de
l'intersubjectivité et de l'échange pour faire avancer le questionnement plus global qui
nous importe à tous ici, à savoir le devenir de cette île à laquelle nous sommes
attachés.
INTRODUCTION
Identité et culture. Voilà
bien deux "enfants terribles" de la réflexion sociologique et donc il est
difficile de cerner les contours. Aussi je vais tâcher de vous présenter ces deux
notions et voir ce que peuvent recouvrir ces deux termes, sachant qu'il n'y pas là de
volonté possible d'exhaustivité.
Elles s'inscrivent dans le
champ des sciences sociales selon le paradigme de la complexité dont voici les trois
principes de base, tels qu'ils sont présentés par leur auteur Edgar Morin :
" 1- le principe
dialogique qui se fonde sur l'association complexe (complémentaire, concurrente,
antagoniste) d'instances nécessaires ensemble à l'existence, au fonctionnement et au
développement d'un phénomène organisé ; 2- le principe récursif à tout moment est à
la fois produit et producteur, causant et causé, et où le produit est producteur de ce
qui le produit, l'effet causateur de ce qui le cause; 3- le principe hologrammatique où
non seulement la partie est dans le tout mais le tout est d'une certaine façon dans la
partie. "
Pour résumer, la complexité
c'est lier ensemble des éléments qui peuvent être contradictoires, en prenant
conscience de leurs interdépendance et du fait que les uns sont la cause des autres et
réciproquement.
Ainsi pour ce qui est de
l'identité, peut-on dire qu'elle n'est pas qu'une somme de caractéristiques, qu'elle ne
peut que s'expliquer par une causalité circulaire, qu'elle n'est pas unique, mais
multiréférentielle.
" De l'extérieur,
l'identité est donc une définition possible d'un acteur (individuel ou collectif). cette
définition se réfère à un certain nombre de critères. Or il est rarement possible
d'énoncer tous les critères utilisables. La nature des critères choisis permet alors de
parler de différentes identités : identité objective (prenant des référents d'ordre
objectifs : matériels, historiques ou autres mais indubitablement connus et vérifiables)
; identité culturelle (prenant essentiellement des référents d'ordre culturel) ;
identité groupale (prenant des référents concernant l'appartenance groupale) ;
identité sociale (prenant des référents de positionnement social) ; identité
professionnelle (prenant des référents du curriculum vitae et des activités
professionnelles)... "
Ainsi peut-on multiplier les
référents identitaires formant autant d'identités possibles, qui seront "
différentes " et pleines de sens pour les chercheurs, chacun en fonction de sa
spécificité scientifique, en fonction de son projet de recherche. Certaines identités
pourront s'associer ou se recouper mais elles ne pourront pas toutes s'ajouter pour former
" l'identité totale " d'un acteur, une sorte de super- ou méta-identité qui
le définirait de manière exhaustive et intégrale. Le chercheur ne retiendra que les
quelques éléments qui lui sembleront, à lui en tant que sujet observant, les plus
prégnants, les plus visibles ou les plus intéressants dans le cadre strict de son
étude.
Pour ma part, je dirais que
l'identité est un soi-disant, elle comporte une auto- définition : je suis moi, car je
me pense comme élément d'un groupe qui se pense lui-même comme une entité (quelle
qu'elle soit : entreprise, parti politique, groupe d'amis, famille au sens large...) avec
des caractéristiques générales que chaque élément va s'approprier, jusqu'à former
une communauté (d'action, d'intérêt, de vie, de destin, d'affectivité...).
MORIN Edgar, Mes Démons,
Editions du Seuil, 1994, pp. 251-252. MUCCHIELLI Alex, L'identité, P.U.F, Que-Sais-Je?,
1999, n°2288, pp. 14-15. |