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SEMINAIRE SUR LA CULTURE  (10/12)
Institut Consulaire Euroméditerranéen de Formation - Ajaccio
12/05/2000
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De l'héritage romain et de la part italienne de son passé, reste la langue corse, sur laquelle je ne m'étendrai pas beaucoup car elle a fait l'objet de la séance d'hier. Je dirai seulement qu'elle est l'élément essentiel par lequel se transmet l'ensemble des traits culturels corses, par laquelle se définit aussi en partie l'identité collective, mais elle est aussi ce par quoi la culture et l'identité évoluent. Si sa pratique diminue, l'identité pourra peut-être se perpétuer mais elle sera amoindrie car elle perdra une partie de son fondement culturel, le lien avec son histoire lointaine et son patrimoine. La pratique de la langue est une dimension essentielle de cette société orale qu'est la Corse. En témoigne l'importance du récit, du débat mais aussi du chant (tant laïc que religieux).

2. J'ai évoqué le patrimoine. Les vestiges plus ou moins anciens sont les traces les plus tangibles, à la fois de l'histoire et aussi de la vie quotidienne d'une communauté depuis le peuplement d'un territoire et ceci à travers les âges. Sa transmission est également essentielle pour nourrir le sentiment de communauté de destin qui est partie intégrante du sentiment identitaire.

Mais il ne faut seulement considérer le patrimoine des monuments historiques, le patrimoine quotidien, les simples demeures familiales sont aussi autant de témoignages. Et qui n'a pas été, pour ce qui est de la Corse, ému en se promenant dans les villages de voir s'écrouler des maisons centenaires, dont les héritiers nombreux et dispersés ne connaissent pas l'existence ou n'ont pas pu s'étendre sur la prise en charge des réparations nécessaires à la survie de ces bâtisses.

Je dirais qu'il existe un patrimoine spirituel et un patrimoine social lié à la vie quotidienne.

a. Même si Edgar Morin dans la définition de la culture qu'il expose exclut l'aspect religieux, je pense que certains cultes sont importants. Ils représentent un patrimoine spirituel qui se traduit aussi sur le plan architectural. Le culte de la mort par exemple, en Corse. La mort tient une grande place dans la société insulaire, en témoigne la force des rites mortuaires (je pense notamment à la tradition des voceri...) et les monuments funéraires qui sont tellement intégrés dans la vie quotidienne, dans le paysage quotidien (à la différence du continent, où les cimetières sont rejetés aux confins de la communauté villageoise). Ici, les tombeaux familiaux, parfois somptueux, sont intégrés à l'architecture globale des villages, ou bien fleurissent au milieu des montagnes, sur les terres de la famille, prise au sens large.

Autre culte : celui de la mère ; la femme, il faut le reconnaître, n'a que peu de place dans la société insulaire, sauf quand elle acquiert le statut de mère, dès elle possède un pouvoir certain sur le cercle familial. D'ailleurs dans la tradition vendettaire, c'est elle bien souvent qui appelait à la réparation du crime commis contre son époux ou son fils.

b. Loin de la folklorisation que j'ai évoquée tout à l'heure, certaines pratiques de la vie quotidienne constituent autant de traits culturels spécifiques qui prennent la forme d'un patrimoine social, qui est un élément très éclairant quand on s'intéresse à une culture particulière. Je pense à certaines cultures vivrières en Corse comme les châtaigneraies qui non contentent d'avoir eu leur importance économique, ont aussi rythmé la vie pendant de nombreux siècles, le cycle de la vie épousant celui du fruit dans une région comme la Castagniccia .

Un système culturel est rarement fermé, son ouverture est la condition sine qua non pour sa survie. Il a besoin d'influences extérieures pour se renouveler et aussi être reconnu par les autres comme leur étant proche. Ces influences peuvent lui permettre éventuellement de résoudre certaines difficultés ou contradictions qui ne trouvent pas de réponse dans son système référentiel traditionnel.

Deux traits de l'identité corse telles que je l'ai définie tout à l'heure, ont également une influence en terme culturel : je pense à l'italianité (que j'ai inclus tout à l'heure dans la méditerranéité) et la francité.

a. L'italianité : historiquement les épisodes pisans et génois ont laissé des traces dans la culture corse, notamment en matière linguistique, mais aussi pour ce qui est de certaines valeurs : culte de la mère, honneur et respect de la parole donnée ; certains aspects religieux ne sont pas absents non plus, si on se réfère aux rituels processionnaires, à la dévotion particulière à certains saints et à l'importance que revêtent encore certaines fêtes particulières comme Pâques ou l'Assomption.

b. pour ce qui est de la francité, sa persistance depuis le XVIIIème siècle comme environnement proche a eu des implications en terme de références et pratiques culturelles qui ne doivent être négligées si on ne veut pas amputer l'identité et la culture insulaires. Ainsi la France a transmis certaines de ses valeurs, notamment républicaines, avec parmi elles un attachement certain à la chose et à la fonction publiques, laquelle a intégré de nombreux Corses, via les armées et le processus de colonisation.

CONCLUSION

On voit donc que la relation qui lie identité et culture est récursive, c'est-à-dire que l'une nourrit l'autre et réciproquement ; cette interaction peut être valorisante et valorisée, si elle est intégrée dans un projet de vivre ensemble, quelque soit sa forme institutionnelle.

La Corse est une région de la République Française. Ce qui entraîne des conséquences : la tradition centralisatrice a développé une idéologie nationale nourrie de certains principes : " une langue- une culture ", l'inculcation des valeurs citoyennes de respect de la règle de droit sur l'ensemble du territoire métropolitain et d'outre-mer, qui s'est appuyée sur une politique d'intégration-assimilation, qui loin de reconnaître les particularités des régions a développé un universalisme républicain, qui se devait de former une nation uniforme, autour d'une histoire, d'une langue, d'une culture, d'une communauté de destin. De cette tradition vient la difficulté à accepter le multiculturalisme sur lequel elle est pourtant de fait fondée. Certes, l'Etat a depuis les années 1980 développé une politique de décentralisation qui a déplacé en partie le centre du pouvoir vers le local : la Collectivité Territoriale de Corse en est un des aboutissements les plus poussés. Mais il n'y a pas reconnaissance véritable et institutionnalisée des différences culturelles. D'où les revendications identitaires qui fleurissent sur le territoire continental (Basques, Bretons, Alsaciens) et " îlien " (Corse, Nouvelle-Calédonie...).

Si le couple identité culturelle/culture identitaire prenait enfin sa place au sein du bloc national, il est à parier (le chercheur en sciences sociales ne peut prévoir l'avenir, mais il lance sans répit des paris) que ce qu'on appelle le multiculturalisme ne détruirait pas la démocratie, comme on l'entend dire parfois, mais au contraire permettrait à chacun de mieux se retrouver dans une identité multiple, multiréférentielle, et non pas dans une identité uniforme, imposée, dans laquelle chacun ne se reconnaît pas forcément.

C'est pourquoi cette valorisation se replace aussi dans un contexte international : en Europe nombre de régions se sont vus reconnaître leurs particularités sans que les Etats dont elles relèvent institutionnellement aient explosés. Certains Etats intègrent le multiculturalisme au sein de leur territoire, même si parfois on assiste à une ghettoïsation de certaines minorités.

L'interaction identité/culture peut être valorisée par la constitution d'un projet de vie sur le territoire vis-à-vis duquel s'est développé le sentiment identitaire. La constitution de politiques culturelles adaptées et la définition de ressources adéquates (tant économiques, humaines, etc) devient alors stratégique. Ces politiques publiques peuvent alors s'envisager comme un système d'action concret, un système d'action culturel au service d'un projet institutionnel. En effet, une territorialisation des politiques culturelles est nécessaire, de par les jalons qu'elle pose, au renforcement de l'identité telle qu'elle est vécue par un acteur tant individuel que collectif.

Réciproquement, l'existence d'un sentiment identitaire fort, imprégné de ses traditions et de sa culture peut servir à la définition même de ce projet de vivre ensemble sur un territoire, avec de nouvelles relations à l'environnement global, appuyé sur un projet de développement, la valorisation de l'interaction identité/culture amenant à la valorisation économique, sociale, politique de l'île et réciproquement .

Cl. ROBERTSON

Dans la présentation de la Corse telle que nous la vivons, vous avez parlé de la Méditerranée, je suppose dans son aspect de la romanité. Il y a un autre aspect de la Méditerranée que nous vivons d'une manière extrêmement précise c'est la présence arabe : c'est un des facteurs qui va modifier la société et dans son mode de vie et dans sa facette orientale ; il y a une partie de la Corse qui l'a été par le passé et qui le redevient à l'époque actuelle. L'imprégnation française ne serait ce que par la langue est importante mais je crois qu'il y a une autre imprégnation : avec deux millions et demi de touristes la Corse va subir de plus en plus une influence européenne. Donc l'influence nord/sud risque d'être plus riche et peut réserver des surprises dans une nouvelle conception de la Corse à venir. Est ce que la présence administrative et son renforcement est due à une reconnaissance, une échelle de valeurs ou à la carence du monde économique ?

M.CASULA

Pour ce qui est de la présence administrative le mouvement est double : d'une part l'engagement massif des Corses dans la fonction publique et dans le mouvement colonial qui est un autre aspect de ce renforcement administratif. Ceci s'explique par une lacune économique, par une lacune du marché de l'emploi sur le territoire insulaire, par des formations qui ne sont peut être pas adaptées aux besoins de l'île.

P.AGOSTINI (CESC)

Nos contemporains, sans doute , en raison de l'évolution générale des sociétés ont besoin de se définir afin d'être quelque chose car ils ont bien senti qu'ils avaient de la difficulté d'être –tout court-. Quand les chercheurs ont essayé de définir culture et même identité ils ont aligné des critères objectifs et puis des critères subjectifs ce qui améliore notre connaissance. C'est un peu, sans l'avoir cherché, comme s'ils avaient créé un habit reconnaissable qui permet de se faire identifier à ceux qui le portent. Ceux qui, en Corse même, ou ailleurs, hors de Corse, se sentent un peu nus, et bien ils ont voulu être quelque chose, en revêtant cet habit. Cela donne deux comportements : un est peut être un peu rigolo, l'autre pas du tout. Le premier, qui est ridicule, est ridicule comme tout ce qui est mal ajusté ; le second est terriblement dangereux car, étant devenus quelque chose, ils ne peuvent vivre ce quelque chose qu'en s'enfermant à quelques uns pour s'opposer à d'autres, quitte lorsqu'il n'y a pas d'autres à en inventer ; on connaît ce mécanisme qui pousse notamment au racisme. On voit ce que cela donne de terrible qui achève les cultures et les identités chancelantes : loin d'amener quelque chose aux cultures un peu fatiguées ils finissent par les détruire. Les questions de culture et d'identité ne peuvent donc s'étudier que si l'on arrive à dominer les sentiments pour ne favoriser que l'esprit. Il en est ainsi pour tout ce qui touche à l'amour, à la famille, à la nation. Si je devais dire quelque chose de prétentieux à un interlocuteur qui parlerait de ces questions je lui dirais que la découverte de toi-même ne te conduise pas à nier les autres, la découverte de ta culture ne doit pas te rendre malade et surtout n'en profite pas pour em...qui que ce soit. M.CASULA

Nous parlons ici d'identités qui existent encore mais il y a un aspect important c'est celui des identités qui se redécouvrent. Aux Cornouailles anglaises identité et culture avaient disparu avec le dernier Cornouaillisant qui parlait la langue au XVII° siècle. Aujourd'hui le phénomène identitaire qui resurgit avec toutes ces implosions, ces contradictions vient aussi du fait que l'on se trouve dans un phénomène de mondialisation, de la crainte d'une future uniformisation de nos valeurs, de notre nourriture, de tous nos comportements culturels en passant par la littérature, le cinéma... on a peur de se noyer et on a besoin de se reconnaître soi-même. Mais ce n'est pas forcément dévalorisant par rapport à l'autre.

Pt du CESC

Tout au long de votre exposé vous avez évité très soigneusement d'employer un terme, et cela m'a surpris, le terme de peuple ou de communauté de destin et dans votre définition de l'identité corse vous définissez l'iléite, vous définissez la corsitude et la francité. Deuxième surprise c'est que vous l'expliquez par l'existence d'une diaspora importante or, actuellement , ce qui se passe avec cette diaspora c'est que, effectivement, elle a pour caractéristique majeure de ne pas être un groupe homogène donc de ne pas avoir d'existence réelle et çà n'est pas un groupe solidaire, ni solidaire au sein de son groupe ni solidaire avec le groupe qui habite en Corse. Je me demande donc si ce terme sur lequel vous fondez l'identité n'est pas un peu faussé à la base.

J.P. BONNAFOUX

Je vais donner deux exemples très concrets. Gérard qui est retraité et qui revient de temps en temps. Chaque fois qu'un camion traverse le village avec du bois qui vient de la montagne il dit que le pays n'est plus le pays. Salem qui travaille, qui est le seul sur lequel on peut compter quand on a un jardin à défricher, qui est le seul qui participe également à toutes les veillées de mort, qui creuse la fosse, qui est actif alors qu'il n'en reste guère. Alors la corsitude, autant c'est vrai, c'est un terme important, je retrouve exactement votre question sous une autre forme, où est la corsitude, quelle est l'appartenance à une communauté de destin ?

M. CASULA

Sur la corsitude je dirai que l'on ne peut pas mettre de limites strictes sur un sentiment qui est quelque chose qui évolue, qui n'est pas figé. Pour être Corse il n'est pas nécessaire de se revendiquer d'un droit du sol ou d'un droit du sang. C'est se sentir appartenir à une communauté dans laquelle on vit. Pour Gérard apparaît une certaine mythologie du passé : cette petite phrase revient de partout tout le temps.

GHJ. GISTUCCI (Enseignant)

Je voudrais poser un certain nombre de questions. Il me semble, encore une fois que, la vision de la Corse soit faite avec des outils qui paraissent quelque fois largement inadaptés et par là inefficaces. Je prends quelques exemples : la Corse est une île, méditerranéenne, mais la Méditerranée ce ne sont pas seulement des relations de domination avec l'un ou avec l'autre.

C'est, d'abord, un monde liquide, qui pose des problèmes, un monde où les civilisations se sont interpénétrées à un point tel que le Corse, le Libanais, le Nord Africain, l'Italien... sont un peu tout de cet ensemble de peuples qui bordent la Méditerranée. C'est un monde aussi où se sont affrontés depuis plus de mille ans maintenant, trois monothéismes militants avec toutes les rencontres qui sont évidentes, ce qui fait que en Méditerranée, on essaie d'appliquer , ne serait-ce que la notion de laïcité elle ne rencontre pas un écho favorable parce que l'homme y est partisan par l'histoire. Donc notre identité, notre civilisation, si je puis m'exprimer ainsi, se présente un peu comme un résidu de cette histoire et je crois qu'elle est, par là même mal appréciée et surtout avec des outils inadaptés, qui ont fait leurs preuves ailleurs mais qui, ici, ne les font pas. Je ne voudrais pas continuer à entendre que la femme corse est soumise, c'est une vue de l'esprit, à mon avis, car elle occupe dans la famille une position souvent dominante, contrairement à ce que les apparences peuvent laisser croire. L'homme a un rôle social extérieur mais les choses sérieuses la femme corse y participe. Je ne voudrais pas laisser dire que la Corse est un monde fermé dans la mesure où étant en Méditerranée il n'y a qu'à voir notre toponymie, les noms de famille pour comprendre que c'est un monde qui a toujours été ouvert et il ne faut pas se baser sur les vingt dernières années, où il y a eu récession pour caractériser ce monde qui, à l'échelle historique a toujours été un monde ouvert. L'ouverture se faisant aussi par le départ d'une diaspora nombreuse à un point tel que, quand j'étais enfant, il me suffisait d'aller au Café, à l'heure de l'apéritif, pour voir autour d'une table des gens qui venaient de Dakar, Saigon, Marseille ou Paris. J'avais le monde à ma portée. Je crois qu'il faut revenir à des critères plus adaptés pour essayer de comprendre ce qui fait le fondement de cette identité et, en définitive, ce qui donne une série de valeurs qui ont permis, sur d'autres terrains, à certains des nôtres de les exprimer et de faire des carrières souvent exceptionnelles.

M. CASULA

Quand je parle de méditerranéité je ne conçois pas cela comme un tout homogène , cela rejoint la notion de complexité que j'énonçais tout à l'heure : j'y lis le côté oriental, l'influence du Magreb, de l'Espagne, de l'Italie, du monde grec aussi en faisant référence à une histoire plus lointaine. C'est pourquoi quand on a considéré la Corse on l'a pensée d'une manière linéaire : c'est le chaos, c'est le désordre...Pour moi, cette notion de la complexité permet justement d'arrêter cette caricaturisation. Ai-je pu le faire passer dans mon discours aujourd'hui ?

Pt du CESC

C'est une émotion

MUCCHIELLI Alex, op. cit., p.44. MORIN Edgar, in Encyclopedia Universalis, volume 14, 1989, p.677. MORIN Edgar, Introduction à la pensée complexe, ESF Editeur, 1990, Communication et complexité, p.10. MEISTERSHEIM Anne (dir), L'île-laboratoire, Editions Piazzola, 1997. ANDREANI Jean-Louis, Pour comprendre la Corse, Folio-Actuel Le Monde, n°70, 2000, p. 20-21.