M. R. BAUDE
Vous n'avez pas parlé, je
crois, de la Corse terre d'accueil et d'hospitalité. Par contre vous avez parlé de
l'agora et vous n'avez pas développé ce thème. Il me semble qu'il répondrait assez
bien à la nécessité qu'il fallait que l'identité se redécouvre et qu'elle doit se
redécouvrir ensemble. On pourrait retrouver l'agora ancienne d'une part avec des
rencontres comme celles d'aujourd'hui et plus généralement dans les rencontres que l'on
peut susciter ici et ailleurs.
M. CASULA
L'agora c'était le fondement
de la démocratie et elle est, ici, le lieu où les Corse doivent se rencontrer, dire qui
ils sont et comment ils se voient et comment ils se voient vivre ensemble et par rapport
à quel projet.
M. SANTONI
On aime la Corse quand on est
loin de la Corse. Il existe cet esprit corse. Ici il est moins ressenti. Les étrangers,
s'ils se comportent bien, ils sont admis comme partout. Beaucoup arrivent et puis
repartent et çà fait comme les marées, mais ils laissent toujours une trace.
A. MARIOTTI (CESC)
Votre exposé me permet de
poser la question que je voulais poser ce matin. Depuis hier c'est comme un fil
conducteur, c'est plus du domaine du ressenti que du domaine d'analyse, il y a une sorte
d'essai de ce que pourraient être l'identité et la culture et il y a une notion qui est
revenue chez un certain nombre d'intervenants : c'était la notion d'être
l'intervenant sur l'Europe, lui-même, en a parlé-. Donc la question que je voudrais
poser puisqu'il y avait une expérience commune entre les artistes corses et les artistes
sardes est la suivante : est-ce qu'il faut faire ensemble ou est-ce qu'il faut être
ensemble ? Comment passer de l'un à l'autre ? Est ce que ce n'est pas çà la
construction de ce projet de vie dont vous avez parlé ?
M. CASULA
Les deux se construisent
mutuellement. Pour faire quelque chose ensemble il faut déjà être ensemble, se
reconnaître et pour que ce sentiment d'existence commune puisse exister il faut qu'il y
ait des éléments qui viennent l'alimenter. On peut habiter chacun dans un village isolé
mais si on ne va pas faire le marché ensemble une fois par semaine on ne se connaîtra
pas. C'est la notion d'interaction de relation que j'ai essayé d'évoquer tout au long de
cet exposé. Il n'y a que des interactions dans ce qui nous entoure. C'est à partir de
là qu'il y aura un projet collectif qui sera finalisé : projet d'une nouvelle Corse,
d'une nouvelle institution.
F.MARCANTEI (Tavagna)
Dans être ensemble, j'entends
avant tout être, ce qui me semble essentiel et lorsque l'homme est quelque chose il a
peut être à donner et de pouvoir rencontrer les autres. D'après votre exposé on
revient toujours sur la triangulation : l'identité, le groupe et les valeurs. Ce qui me
semble manquer dramatiquement à notre époque c'est la perception de valeurs communes qui
donnent à un groupe sa véritable structure collective dans laquelle chaque individu peut
se reconnaître et se reconnaissant dans les autres il se reconnaît en lui-même. Il a,
alors, quelque chance de pouvoir faire avec les autres. Dans toute cette pratique de
l'identité il y a un retour systématique vers l'individu, vers l'homme et il me semble
que notre époque confond beaucoup de choses, particulièrement l'identité qui n'est que
celle des hommes. Je n'ai jamais vu un prisuttu ou un briquet Bic avec une carte
d'identité : l'identité c'est l'affaire des hommes, ce qui les fait, ce qui les
structure intérieurement et à ce moment- là on parle et eux-mêmes parlent et sont à
la recherche de leur identité. A l'heure actuelle il me semble qu'il y ait une confusion
entre l'homme et son intérieur et les produits que les hommes font. Et, ne prenant pas en
compte le problème de l'identité, n'essayant pas de le traiter d'un point de vue
fondamental, ce qu'est l'identité, comment elle se conjugue, comment on peut la
reconnaître, voir comment la définir, on a souvent tendance à aller chercher secours
auprès de choses qui sont très très loin de l'identité, à savoir les produits que
font les hommes. Ce matin on évoquait les tours génoises que nous revendiquons comme des
éléments de notre témoignage identitaire mais l'histoire est pleine de cela, la
religion catholique a gagné le monde avec le latin, qui était la langue de l'occupant,
la langue de celui qui faisait souffrir. Et ce pied de nez de l'Histoire, chacun espère
pouvoir en récupérer le bénéfice. Il y a à l'heure actuelle, ce que moi j'envie et je
sens comme un danger, c'est que ne voulant pas voir où est la matrice de l'identité, où
ont habité les Corses, qu'est ce qui a fait les hommes corses, qu'est ce qui a fait
qu'ils ont été recherchés qu'ils ont pu faire ce qu'ils ont fait et qu'entre eux ils se
reconnaissaient, fuyant ces problèmes d'habiter, de relation sociale, de pyramide
sociale, de proximité, de petit nombre on a appelé à l'heure actuelle, et le mariage
est peut-être symptomatique, l'économie au secours de l'identité. Le briquet de JT
Desanti, ce matin, avait quelque chose de plaisant, ce n'est pas la tête de Maure qui est
corse, ce n'est pas le briquet mais, derrière celui qui a fait le briquet il y avait
peut-être un ouvrier taiwanais qui lui, avait une identité. Donc, je crois qu'il
convient de séparer très très vite l'identité avec toute sa problématique de
l'économie qui, elle, a d'autres lois et si on traite bien l'une et l'autre comme, je
crois, on l'a fait aux Baléares c'est quand même le premier aéroport d'Europe,
c'est aussi un des pôles technologiques avancés, c'est une agriculture exportatrice...-
à ce moment-là l'identité retrouve toute sa place, disjointe de l'économie. Or, pour
moi, mais si çà n'était que pour moi.. pour nous tous lorsque l'on commencera à
disjoindre l'économie de l'identité on commencera, peut-être à réfléchir
sérieusement sur l'une et l'autre et on n'aura pas fait le village global que l'on nous
propose qui est la même liaison entre village et global que moi je ressens entre
identité et économie.
T.CASALONGA
Evidemment on peut toujours
rêver d'être schizophrène c'est à dire d'être séparé en deux, avoir une partie
économique et une partie qui serait le propre de l'homme, qui serait l'identité.
Personnellement cela ne me tente pas : je ne pense même pas qu'une société
schizophrène puisse réussir ou sur le plan économique ou sur le plan humain. Par
conséquent il me semble qu'il faut remettre les choses dans le bon ordre, doit on
rappeler que ce n'est pas l'économie qui vient au secours de l'identité, hélas, parce
que l'économie se porte tellement mal que nous avons pensé que l'ambulance de
l'identité pouvait peut-être lui permettre de rester en vie, c'est le contraire c'est
l'identité qui vole au secours de l'économie comme toujours ce qui est fort doit voler
au secours de ce qui est faible.
G.G.ALBERTINI (Enseignant)
Je voudrais revenir sur
l'histoire du briquet évoquée ce matin. Quand les deux journaux locaux ont traduit à
l'époque ce qui s'était passé à la Mutualité, on lisait dans l'un ce qu'avait dit le
philosophe Desanti, à savoir que la Chine, l'identité c'était la Chine, puisque le
briquet venait de Chine ou de Taiwan et dans l'autre quotidien, il y avait écrit,
l'identité c'est le signe. Est ce que cela a été relevé : Chine c'est l'autre et le
signe c'est un peu soi-même. Sans le vouloir il y a une définition qui est presque
probante de l'identité. Il y a un culturel corse qui est très en retrait à l'heure
actuelle et qui a dit en parlant de la Corse : O combien de réussites personnelles se
sont accompagnées d'un naufrage collectif. Je reviendrai sur le thème d'identification.
On parle beaucoup d'identité,
or il y a un couple infernal qui est le couple identité/identification et je crois qu'en
Corse il nous joue un drôle de tour. La contradiction c'est que l'identification fait
partie de notre identité. Le Corse est un homme de pouvoir qui s'identifie facilement à
ceux qui ont le pouvoir. Et ceux qui ont le pouvoir sont la plupart du temps ceux qui
l'ont dominé. Et on retrouve tout au long de l'histoire de la Corse ce problème
d'identification au pouvoir que l'on retrouve peut-être même et là je ferai allusion au
sociologue Pierre Bourdieu dans son livre sur la domination masculine, même chez l'homme
corse quand on dit, en quelque sorte, que la femme est soumise, elle l'est en apparence
parce que l'homme par identification au pouvoir ne veut pas se laisser dominer par la
femme alors qu'en réalité c'est elle qui conduit les rênes du foyer et bien plus loin
plus d'une fois. Il y a pas mal de leçons à en tirer. Cette identification nous conduit
beaucoup plus loin. C'est que en allant vers ce pouvoir et en retour -parce que
l'identification depuis l'île vers l'extérieur nous conduit vers cette perte de
l'identité- et en retour donc, quand on s'identifie -parce qu'on a perdu cette identité-
à cette forme de corsitude on risque de faire du folklore et de perdre l'identité d'une
autre manière. Mais ce qu'il y a de plus grave c'est que à travers l'identification il y
a une perte totale de confiance en soi ce qui permettrait d'aborder un certain nombre de
problèmes même liés à la création et on ne croit même pas à ce moment là que les
créations qui ont été faites en Corse quelqu'un disant «Et chez toi que
s'est-il passé ?» il avait répondu "rien". Or il s'était passé beaucoup de
choses en Corse- Et seulement les peintures sont toscanes, les tours sont génoises
or la plupart du temps elles ont été construites sous la domination génoise, mais
faites ici en Corse, par des maçons corses payés la plupart du temps par la communauté
corse- i fasgioli grossi sò francese, i chjarasgi sò francese, le charbon est
napolitain. Autrement dit, on n'a plus confiance en soi et à partir de cette perte de
confiance on va vers l'autre or, l'autre on ne peut l'estimer et on ne peut s'estimer
soi-même que si on a confiance en soi. Si on est en déséquilibre il peut y avoir toutes
sortes de dérapages et je crois que nous vivons en ce moment et depuis de nombreuses
années pas mal de dérapages.
M.CASULA
Ce besoin d'identification tel
que vous l'évoquez, ce besoin de chercher l'autre vient du fait que l'on est noyé dans
la globalisation qu'on porte là comme une épée de Damoclès sans savoir comment elle va
tomber et le fait de trouver des marqueurs identitaires que ce soit par la langue, le
chant, la littérature...C'est un moyen en tant qu'individu même si on revient un peu
trop à l'individu. Pouvoir vivre, pouvoir être.
M. Pascal PIERRE
Je pense que le temps presse,
il presse dans un sens ou un autre. Nous sommes là pour parler de la place de la culture,
de cultures vivantes, d'identité territoriale, pour culture et identité dans une
relation interactive. Je crois savoir que se prépare, au mois d'octobre, un séminaire
dans le cadre d'un forum, d'une association sur le thème du concept de solidarité au
concept d'identité ou inversement puisque nous sommes en plein débat du concept
d'identité au concept de solidarité, c'est à dire, ces solidarités qui apparaissent
vont-elles donner lieu à une nouvelle identité ou à d'autres identités. Mais le temps
presse et l'INSEE ne le dit pas, nous sommes, il me semble 140 000 Corses d'origine
autre chiffre donné dans la salle : 93 000 -. Mais enfin le débat est largement ouvert
et a donné lieu à travers la presse à des séries de « libres opinions », dont une
parue le 14 mai 1999 en plein conflit des Balkans : c'est un choix, une prise de position
courageuse mais qui peut être, pour certains, redoutable. |