Pour ma part, je dirais que
l'identité est un soi-disant, elle comporte une auto- définition : je suis moi, car je
me pense comme élément d'un groupe qui se pense lui-même comme une entité (quelle
qu'elle soit : entreprise, parti politique, groupe d'amis, famille au sens large...) avec
des caractéristiques générales que chaque élément va s'approprier, jusqu'à former
une communauté (d'action, d'intérêt, de vie, de destin, d'affectivité...). L'identité est donc un vécu, une expérience : je
suis car je me vis à travers ce que je pense être une caractéristique de la communauté
à travers laquelle je m'autodéfinis (ex : la langue, l'histoire, la culture pour une
communauté nationale ou ethnique).
L'identité est aussi un rapport aux
autres, c'est une éco-définition, je me définis par rapport à un environnement (au
sens large : humain, géographique, économique, historique...), par rapport aux autres et
par rapport au regard que les autres ont sur moi (ou du moins ce que j'en ressens ou ce
qu'ils en disent). Parfois on se découvre une identité en se confrontant au regard des
autres, comme c'est le cas des Cornouailles, en Angleterre qui essaient de redécouvrir
leur identité, leur langue aussi (le dernier pratiquant est mort au XVIIème!), au
contact de leurs " frères celtes ".
Dans la tradition hégélienne, l'identité
résulte de la connaissance réciproque du moi et de l'autre ; elle est le produit d'un
processus conflictuel où se construisent des interactions individuelles, des pratiques
sociales objectives et des représentations subjectives.
On peut dire que l'identité est un
sentiment qui s'auto-éco-nourrit et qui s'auto-éco- produit.
Qu'en est-il de la culture : que recouvre
cette notion?
Au XIXème siècle, les anthropologues
anglo-saxons utilisaient le mot " culture " pour désigner le contenu de
l'héritage social des sociétés " primitives " qu'ils rencontraient. Ainsi
Tylor propose dans Primitive Culture (1871) :
" Culture, pris dans un sens
ethnographique large, est ce tout complexe qui inclut la connaissance, la croyance, l'art,
les choses morales, la loi, la coutume et toutes les autres aptitudes et habitudes
acquises par les hommes en tant que membres de la société. "
D'un point de vue sociologique, la
définition de Guy Rocher (dans Introduction à la Sociologie Générale, t.1 l'action
sociale, Paris Seuil, 1968, p.111) est l'une des plus consensuelles pour ce qui de l'usage
intra-sociétal de cette notion :
" La culture est un ensemble lié de
manières de penser, de sentir, d'agir plus ou moins formalisées qui, étant apprises et
partagées par une pluralité de personnes, servent, d'une certaine manière à la fois
objective et symbolique, à constituer ces personnes en une collectivité particulière et
distincte. "
La culture est donc un vaste ensemble
d'acquis mentaux communs aux membres d'un groupe, et qui se traduit par un ensemble de
croyances, de valeurs, de représentations communes, mais également par les coutumes, les
moeurs, l'ensemble des objets quotidiens et des expressions artistiques, etc. . Tout cela
forme un système culturel, qui peut se lire comme une grille de
perception-interprétation du monde à partir de valeurs, de normes et de codes culturels.
Ces représentations forment des stéréotypes qui sont intégrés et transmis par le
groupe considéré.
On voit donc la difficulté à définir de
manière stricte le terme de " culture ". Tout ce qui vient d'être exposé
servira de base au développement de notre propos, mais peut-être évoquera-t-on, "
chemin faisant ", d'autres aspects. Aussi ne pouvons nous que tomber d'accord avec
Edgar Morin quand celui-ci souligne que " la notion de culture est sans doute en
science sociale la moins définie de toutes les notions ; tantôt elle englobe tout le
phénomène humain pour s'opposer à la nature ; tantôt elle est le résidu où se
rassemble tout ce qui n'est ni politique, ni économique, ni religieux ".
C'est pourquoi nous ne nous étendrons pas
davantage sur la difficulté à définir la culture pour envisager de manière plus
pragmatique le problème en terme de pratiques et de politiques culturelles, car c'est là
que va se manifester de manière plus visible et peut-être plus pertinente pour notre
débat aujourd'hui, le lien entre identité et culture. Aussi retiendrons-nous que ces
deux notions complexes qui sont des réalités subjectives qui s'autodéfinissent par
rapport à leur environnement, l'une étant l'environnement de l'autre.
Je vais donc tâcher de voir quels sont les
traits saillants de l'identité d'une part (I) et de la culture d'autre part (II),en les
inscrivant dans la perspective complexe évoquée plus tôt, et en favorisant les
aller-retours entre la théorie et la pratique, entre le discours et l'application que
j'en vois en Corse.
I. L'IDENTITÉ ET SES TRAITS SAILLANTS.
Voilà donc un exercice difficile que celui
de déterminer les éléments constitutifs de l'identité et de la culture. En effet,
apparaît dès lors le spectre d'une caricaturisation, d'une folklorisation d'un système
identitaire culturel, dû au fait que pour définir une identité et une culture, il faut
faire appel à des représentations, donc à des réalités subjectives dont
l'objectivité n'est jamais que relative à la rigueur avec laquelle le sujet-chercheur va
les utiliser. La folklorisation des caractéristiques identitaires est due notamment à la
schématisation qui est le corollaire du processus psychologique de catégorisation, qui
intervient pour reconnaître un événement ou une société ou quoique ce soit d'autre :
il faut pour cela mettre en oeuvre un procédé qui permette de nourrir la mémoire
immédiate et qui a recours à une simplification des traits élémentaires de ce qu'on
mémorise. Elle peut être aussi due à ceux qui, touristes ou visiteurs peu éclairés et
s'intéressant au final assez peu aux traditions profondes d'une société, se contentent
de prendre certaines attitudes parfois marginales pour des comportements " typiques
" et ne retiendront, par exemple pour le sujet qui nous intéresse ici que
l'équation : CORSE = soleil + plage + charcuterie + fromage + polyphonies.
Comment peut-on définir l'identité? C'est
par exemple ici tenter de répondre à la question " être corse, c'est quoi? "
On peut être tenté de donner une série de critères, qui serait une longue litanie des
comportements à tenir pour être Corse (qu'on le soit de naissance, d'adoption ou de
l'extérieur) et qui s'ils étaient tous remplis désigneraient les bons et les mauvais
Corses. Or si quand on parle d'identité en général, on nage souvent en pleine
incertitude, une chose est sûre ici : je pense qu'il y a autant de définitions à
l'identité qu'il y a d'individus. En effet, l'identité est une notion complexe, car si
on essaie de raisonner de manière cartésienne en la découpant et en la déstructurant
pour en observer les moindres miettes, apparaît rapidement une difficulté.
" Est complexe, ce qui ne peut se
résumer en un maître-mot, ce qui ne peut se ramener à une loi, ce qui ne peut se
réduire à une idée simple. La complexité est un mot- problème et non un mot-solution.
"
L'identité se conçoit comme un sentiment
d'appartenance, mais elle se définit aussi par rapport à des influences
environnementales.
A. Le sentiment d'appartenance.
L'identité est un soi-disant, elle
comporte une auto-définition : je suis moi, car je me pense comme élément d'un groupe
qui se pense lui-même comme une entité ( quelle qu'elle soit : entreprise, parti
politique, groupe d'amis, famille au sens large...) avec des caractéristiques générales
que chaque élément va s'approprier, jusqu'à former une communauté (d'action,
d'intérêt, de vie, de destin, d'affectivité...). L'identité est donc un vécu, une
expérience : je suis car je me vis à travers ce que je pense être une caractéristique
de la communauté à travers laquelle je m'auto-définis : l'individu se ressent comme
membre de cette communauté, il appartient à cette communauté.
Je donnerai ici quelques traits de ce qu'il
me semble être caractéristique de l'identité corse :
1.l'insularité : que je qualifierai, moi,
d'îléité . L'insularité est le fait de vivre sur un île, mais l'îléité dépasse ce
simple fait. L'îléité, c'est un vécu, une expérience, un ressenti particulier. Elle
est teintée d'une forte affectivité qui ne peut qu'étonner tout élément extérieur à
l'espace insulaire. Elle est ouverture de par la potentialité des échanges qui s'offrent
à elle, l'île est toujours un carrefour dans un espace maritime. Elle est aussi
fermeture de par la tendance qui est la sienne à se replier sur elle-même, pour se
protéger des agresseurs qui viennent de la mer. L'îléité est une relation
particulière avec un territoire, car la frontière entre Soi et l'Autre est ici
matérielle. L'Autre est delà de la mer. Elle va donner un cadre à l'identité. L'îlien
est dans et par son île. S'il modifie son espace de vie, c'est sa propre définition, son
soi-disant qu'il altère, c'est-à-dire littéralement qu'il se rend autre. Cette relation
au territoire se nourrit d'elle-même : je me vois comme existant dans un lieu donné et
cela nourrit mon identité : je suis ce que je me vois vivre dans un lieu donné. Ce vécu
fait surgir des liens avec le territoire de par les souvenirs individuels et collectifs
qui vont y naître et ces liens se nourrissent des potentialités que va apporter ce
territoire.
2. Pour ce qui est de la Corse, l'îléité
est vite transcendée par la corsitude. Elle s'explique par l'existence d'une diaspora
importante et dont l'exil tient à de multiples raisons historiques, économiques,
individuelles qui se combinent. Ce départ ne renie pas l'attachement au territoire du
migrant. L'identité îlienne n'ayant plus lieu d'être, mais le besoin d'identification
étant vivement ressenti, une autre identité vient se substituer à la première (qui ne
disparaît pas, elle est seulement remise à plus tard, car l'exilé se voit revenir dans
un avenir plus ou moins proche) : la corsitude. C'est un sentiment d'appartenance à un
système référentiel qui transcende sa territorialisation. Ainsi, il n'est pas rare sur
le Continent, de rencontrer des gens ayant une ascendance corse et qui ne sont pas nés
sur l'île, qui se disent et se sentent, se vivent comme corses, même si le départ de
leur famille date de plus d'une génération. On voit donc qu'être corse ne peut passer
par un droit du sol, voire non plus par un droit du sang. La corsitude tient de
l'auto-identification : je suis Corse car j'adhère à un ensemble de comportements,
d'attitudes, de références, à une langue aussi dans lesquels mon moi se reconnaît et
s'épanouit. Mais en même temps, elle va au-delà de tout cela. Je dirais également
qu'il existe une corsitude intérieure et une corsitude extérieure qui sont en
interaction. La corsitude intérieure est le fait de ceux qui vivent sur l'île. La
corsitude extérieure est celle des exilés, de ce qu'on peut appeler la " diaspora
" de par la dispersion géographique des Corses de l'extérieur, mais dont
l'implication et l'intérêt pour le devenir de l'île restent vifs. La corsitude
intérieure nourrit l'extérieure en lui transmettant la langue et tout ce qui est
information identitaire et culturelle qui fait que la corsitude extérieure peut continuer
à alimenter la représentation qu'elle a d'elle-même, de son moi collectif.
Réciproquement l'île peut trouver quelque intérêt à ce que les extérieurs peuvent
lui apporter (rôle d'ambassadeur, par exemple).
Mais je ne développerai pas plus ici car
tel n'est pas notre propos aujourd'hui.
A noter que ces deux sentiments, îléité
et corsitude, ne sont nés pas ex nihilo, ils s'inscrivent dans une perspective
diachronique, c'est-à-dire historique : cette relation particulière à un territoire n'a
pu naître que du fait des événements successifs qui ont eu une influence sur les
habitants de cette île, je pense surtout aux différentes passations et transactions dont
elle a fait l'objet au cours des siècles et qui ont nourri un sentiment de résistance
et, parfois, de repli sur soi. Cette dimension historique explique l'importance des
influences environnementales aussi dans la constitution d'une identité.
B. Les influences environnementales.
L'identité est aussi un rapport aux
autres, c'est une éco-définition, je me définis par rapport à un environnement (au
sens large : humain, géographique, économique, historique...), par rapport aux autres et
par rapport au regard que les autres ont sur moi (ou du moins ce que j'en ressens ou ce
qu'ils en disent). Le fait de côtoyer un environnement particulier et différent du sien
a priori va amener l'intégration de certains éléments au départ étrangers à soi mais
qui seront par suite déterminants dans la définition de sa propre identité.
1. Un élément de l'identité corse est sa
méditerranéité, définie comme " l'ensemble des caractéristiques communes, plus
ou moins rémanentes que le mare nostrum a imposées aux civilisations qui le bordent
" et parmi lesquels on peut citer le sens de l'honneur et le respect de la parole
donnée, la famille comme élément central et fédérateur, et qui trouve son
prolongement dans le clan qui, par la pratique du don et du contre-don, impose certaines
règles de vie dans la communauté. Enfin peut-on dire que les sociétés
méditerranéennes ont un potentiel de violence en elles qui a trouvé une normalisation
au sens de norme, de loi) dans la pratique de la vendetta, qui n'en déplaise à l'aspect
folklorique qu'elle représente pour celui qui ne connaît que peu l'espace
méditerranéen, était une pratique de justice personnelle qui obéissait à des règles
strictes et qui s'inscrivait dans une formalisation particulière des rapports sociaux.
2. Enfin, il ne faut surtout pas oublier la
francité. Cette part française dans l'identité corse tient bien sûr au rattachement de
l'île à la France au XVIIIème siècle, ce qui a eu des conséquences en matière
économique, institutionnelle, sociale, de styles de vie, etc. Tout cela s'illustre dans
le nombre important de Corses fonctionnaires ou soldats qui ont fait la guerre pour la
France et qui ont participé au rayonnement français quand celui passait par la
colonisation. D'ailleurs ce sentiment d'appartenance française ou de double appartenance
corso-française est toujours bien vivant si on se réfère à un sondage réalisé par
Louis Harris et publié par le magazine Corsica de janvier 2000 et selon lequel 53% des
personnes interrogées se disent autant corses que françaises, 15% plus corses que
français, 14% seulement français, 8% plus français que corses, 8 % seulement corses, 2%
ne se prononçant pas, soit au total 90% qui se reconnaissent une identité française
aussi réduite fut-elle, tout en étant 84% à avoir conscience de leur spécificité.
II. LA CULTURE ET SES TRAITS SAILLANTS
Cette identité telle que je l'ai
présentée s'incarne dans des pratiques culturelles particulières qui s'appuient et se
sont transmises tout au long de l'histoire d'une communauté donnée. On l'a vu tout à
l'heure, Tylor propose dans Primitive Culture (1871) " Culture, pris dans un sens
ethnographique large, est ce tout complexe qui inclut la connaissance, la croyance, l'art,
les choses morales, la loi, la coutume et toutes les autres aptitudes et habitudes
acquises par les hommes en tant que membres de la société. ". La culture est donc
un vaste ensemble d'acquis mentaux communs aux membres d'un groupe, et qui se traduit par
un ensemble de croyances, de valeurs, de représentations communes, mais également par
les coutumes, les moeurs, l'ensemble des objets quotidiens et des expressions artistiques,
etc. Il y a donc d'un côté les repères matériels de la culture, mais là aussi il y a
influence de l'environnement dans la constitution d'un système culturel donné.
A. Les repères matériels de la culture.
1. Le premier repère matériel d'une
culture est la langue qu'elle véhicule et par laquelle, par une causalité circulaire
elle est véhiculée. Elle permet la transmission et la pérennisation des souvenirs d'une
histoire commune qui fonde l'identité comme on l'a vu plus haut. Si la langue disparaît,
la culture disparaît. |